Classiques modernes

 

Osamu Tezuka Phénix, T. 2 Les Temps futurs, Tonkam, Collection Tsuki poche, 2000

 

La deuxième époque de Hi no Tori (Phénix) d'Osamu Tezuka, parue chez Tonkam en 2000, dans la collection Tsuki poche, une histoire de science-fiction titrée Les Temps futurs, tourne entièrement autour de la question de la création et du transformisme et constitue, à ce titre, un remarquable spécimen de ce que nous appelons la mythopoeia de la bande dessinée (mythopoeia signifie la création de mythes). Il s'agit apparemment d'une histoire de science-fiction fort classique, proche de ce qu'aurait pu écrire un écrivain d'anticipation français d'avant 1914 ou un anticipateur anglais d'entre les deux guerres. Au 35e siècle, sur une Terre dévastée où tous les animaux ont déjà disparus, l'humanité agonise, cloîtrée dans cinq villes souterraines. Incapables de la moindre initiative, les hommes partagent la vie des moopy, des extra-terrestres ramenés sur Terre à l'époque des grandes explorations spatiales et qui ont la faculté de leurs communiquer leurs rêves. Les moopy sont des amorphes (des sortes de boules de peluche) capables de s'adapter à tous les milieux et qui optent définitivement pour une forme, humaine ou animale. Après que l'ordinateur dirigeant la ville correspondant à Tokyo a ordonné la mise à mort de tous les moopy, le héros de l'histoire, Masato Yamanobe, s'enfuit en surface avec un moopy ayant choisi l'apparence d'une jeune femme, Tamami. En surface, ils trouvent le dôme d'un savant qui essaie de recréer l'ensemble des animaux de la Terre à partir de cellules souches. Mais ces animaux sont incapables de survivre hors des incubateurs. La moopy Tamami accepte de se sacrifier et c'est à partir de ses cellules, dotées de la précieuse faculté de transformisme, que le savant espère créer des êtres vivants viables. Mais les ordinateurs gouvernant les cités sacrifient l'humanité survivante dans un holocauste nucléaire. Les radiations tuent le savant et Yamanobe, à qui Phénix, l'oiseau de feu, deus ex machina de la série, a conféré l'immortalité, se retrouve seul sur la planète, avec pour tâche de récréer l'ensemble des êtres vivants, y compris l'homme. Il échoue dans cette entreprise et n'a d'autre choix que de verser un composé organique dans l'océan et d'attendre que la vie réapparaisse par le lent chemin de l'évolution, dont, devenu un pur esprit, il sera le témoin passif. Trois millions d'années passent. La vie est réapparue sur Terre, y compris l'homme, et nous nous retrouvons alors dans le lointain passé, à l'époque des anciennes chroniques faisant mention du Japon, c'est-à-dire au début du premier tome de Hi no Tori (Tonkam, collection Tsuki poche, 2000).

Au-delà de la parabole véhiculant les thèmes humanistes chers à Tezuka, Les Temps futurs sont une fable sur la bande dessinée elle-même. Dans la mythopoeia des bandes dessinées, la façon normale de créer des êtres est de les fabriquer (c'est le principe de Frankenstein). De ce fait, ces êtres sont immuables, ils ne peuvent évoluer par des voies naturelles : non seulement les personnages de BD ne vieillissent pas, mais ils changent rarement d'aspect, car leur coiffure ou leur costume fait en quelque sorte partie d'eux. Cependant cette immutabilité est compensée par un principe incontrôlable qui est le transformisme. Les personnages de BD changent de forme inopinément, ils fondent ou s'éparpillent, deviennent totalement amorphes, ou bien se transforment en quelqu'un d'autre (par exemple un superhéros ou un animal).

On retrouve tous ces principes dans Les Temps futurs de Tezuka. La manière ordinaire de créer un être est de le fabriquer, soit dans un atelier (les ordinateurs gouvernant les cités, les robots du savant), soit en éprouvettes (les animaux du savant). Mais ces êtres fabriqués sont immuables et, de ce fait, imparfaits : les ordinateurs gouvernant les cités sont despotiques, les robots féminins que le savant a créés pour se tenir compagnie sont incapables d'émotion (ceux que fabrique Yamanobe sont encore plus lamentables), les animaux en éprouvette se décomposent si l'on brise leur prison de verre. Le seul remède à cette immutabilité morbide du vivant est le transformisme. Il est la clé de la survie des animaux en éprouvettes dans l'expérience interrompue du savant. C'est leur faculté de transformation qui fait des moopy, intelligences extraterrestres a priori totalement incompréhensibles pour l'homme, des femmes tendres et aimantes et qui sont littéralement capables de réaliser tous les désirs de celui dont elles s'éprennent, en leur faisant vivre leurs rêves. C'est le transformisme encore qui fait de Yamanobe, le héros de l'histoire, une sorte de divinité, une pure essence désincarnée, ce qui lui évite de devenir fou de solitude. C'est le transformisme enfin, qui régénère la vie sur Terre, par le lent chemin de l'évolution.

 

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