stripologique

Théorie des littératures dessinées - littérature secondaire - critique

Ce qui suit est notre conférence introductive à la première université d'été de la bande dessinée, organisée par le Centre national de la bande dessinée et de l'image (Angoulême), du 10 au 13 juillet 2006, actes parus en juillet 2007, sous la forme d'un hors série de la revue 9e Art. Nous adressons nos plus vifs remerciements aux organisateurs de cette manifestation pour nous avoir autorisé à reproduire ce texte.

Les discours sur la bande dessinée
Bilan historique
1830-1970

PREMIÈRE PARTIE : ORIGINES

§ 1. — XVIIIe-XIXe une théorie par les auteurs : Hogarth, Töpffer

Rodolphe Töpffer, rendant hommage au génie de l’inventeur de la gravure morale, William Hogarth, dans Réflexions à propos d’un programme (1836), écrivait ceci :

« Dans le siècle passé, un homme de génie, Hogarth, porta en Angleterre la littérature en estampes à une hauteur où on ne l’avait pas encore vue. Hogarth, grand artiste, mais tout aussi grand moralisateur, publia diverses suites de gravures formant des drames complets, plus remarquables encore par la pensée qui s’y développe avec une frappante énergie que par l’exécution matérielle des planches dont ils se composent. Une idée forte et nette, mise en œuvre avec une rare intelligence, l’art de faire concourir aux développements de cette idée les accessoires les plus indifférents en apparence, un profond instinct de moralité, et le sentiment le plus parfait qu’ait peut être jamais eu aucun artiste des traits qui révèlent l’âme, ses habitudes, ses penchants, ses vices, sa candeur ou sa beauté, voilà ce qui constitue le génie éminemment dramatique et original d’Hogarth. »

Töpffer identifie de la sorte trois caractéristiques des littératures en estampes, médium dans lequel il aura lui-même l’importance que l’on sait : 1. Présence d’un récit. 2. Inféodation des « accessoires » à ce récit, tous les éléments présents dans l’image y concourant, au moyen de codes allégoriques. 3. Intention morale.

Plus loin, Töpffer note encore :

« Hogarth est difficile à comprendre tout entier. Sa pensée est étendue et profonde ; il en est de cette pensée comme de celle de Shakespeare : chacun y pénètre selon sa portée, mais ce qu’il en saisit est frappant, si ce n’est complet. »

Töpffer propose donc un quatrième « trait de génie », la profondeur, reprenant un des critères de la grande œuvre selon l’esthétique classique : elle est inépuisable.
On le voit, la bande dessinée a, dès l’origine, fait l’objet d’une théorie conçue de façon programmatique par ses créateurs eux-mêmes.
Dans la lignée de ces considérations savantes, on peut relever les productions sur les littératures dessinées de critiques et d’écrivains, le livre de Barthélemy Amengual sur Pif le chien (1), celui de François Caradec sur Christophe (2), l’ouvrage de Pol Vandromme sur Tintin (3).
Dans cette première littérature savante, il faudrait relever aussi les articles éparpillés dans les revues de bibliothèques, tels l’étude sur Pogo par Robert Champigny, dans Critique, la revue de Georges Bataille (4).
On peut noter que ce type de littérature ne se pose aucune question sur le statut des littératures dessinées. Quand la question est évoquée, c’est pour signaler l’hostilité irraisonnée des éducateurs. A propos du violent pamphlet de Georges Sadoul contre le strip américain et les journaux d’enfants de l’âge d’or, Jean Paulhan écrit : « M. Sadoul n’est pas moins sérieux que l’abbé Bethléem, mais il est moins drôle (5). »
Il ne manque donc pas, tout compte fait, d’études savantes sur la BD précédant le fameux article de Pierre Strinati dans Fiction, en 1961, qui donna naissance au Club des bandes dessinées et qui est considéré généralement comme l'acte de naissance de la bédéphilie (6).

§ 2. — Les ambiguïtés du discours fanique

Paradoxalement, c'est la constitution progressive des littératures dessinées en champ doublement polarisé (moralisateurs vs fans ; littérature vs commercialisme) qui va progressivement tarir cette source d’études littéraires générales.

De plus, du fait précisément de cette double polarisation, les discours sur la BD deviennent lourds d’enjeux idéologiques, et reflètent la position dans le débat de ceux qui les émettent. Ainsi, si le premier discours fanique sur la bande dessinée est un discours apologétique, ce n’est point parce que la BD serait un médium « injustement méprisé », mais parce que la BD est un médium très violemment attaqué par le public des éducateurs (instituteurs, ecclésiastiques, dirigeants de mouvements de jeunes et d’associations familiales).
Il faut donc pour comprendre la spécificité des discours sur la BD examiner successivement les attaques d’éducateurs et la réponse fanique à ces attaques.

I — La guerre séculaire contre les littératures dessinées

Le premier discours « théoricien » sur le médium émane d’éducateurs, et ce discours est foncièrement hostile aux littératures dessinées. On relève, dans les attaques des professionnels de l’enfance, deux grandes périodes : le début du XXe siècle et les années 1930, baptisées « âge d’or » par la première génération des fans.
Après la Seconde Guerre mondiale, la tentative d’éradication des littératures dessinées par les professionnels de l’enfance culmina avec la loi du 16 juillet 1949, et l’instauration de la fameuse Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. La loi de 1949 instaurait un traitement pénal de la publication de bandes dessinées, puisque l’article 2 créait un nouveau délit de « démoralisation » de l’enfance ou de la jeunesse par voie de presse et d’édition. Dans la pratique, il s’institua un complexe rapport de force entre la Commission, chargée de la surveillance de la littérature dessinée, et les éditeurs, sans cesse convoqués et sermonnés. On n’était donc à proprement parler ni dans un contexte judiciaire (il n’y eut qu’un seul procès pour « démoralisation » de la jeunesse, celui de l’éditeur Chott), ni même dans un contexte administratif. La Commission n’a jamais eu le pouvoir d’interdire une publication destinée à la jeunesse. Sa seule arme était la menace de la transmission du dossier au garde des Sceaux à fin de poursuites judiciaires (7).
Dans ce cadre de chantage et de modifications sous la contrainte, le pouvoir de la Commission fut immense, et elle arriva — en un étrange paradoxe — à imposer à la production de bandes dessinées des normes qui reflétaient en réalité les préjugés des éducateurs hostiles au genre et qui conduisirent à de véritables désastres narratologiques et iconographiques.
Les commissaires s’en prenaient au premier chef au récit d’aventures teinté de merveilleux, à la fantaisie, au rêve. Il y avait ainsi « démoralisation de la jeunesse » dans le fait de mettre en scène un héros invulnérable, téméraire et redresseur de torts, parce qu'il était désinséré du cadre normal de l'activité humaine et que « tout ce qui tend à désinsérer l'individu du cadre normal de son comportement peut être considéré comme étant de nature à le démoraliser » (8). De même, la bande dessinée de science-fiction constituait « une grave démoralisation de la jeunesse car, sans méconnaître la possibilité d'une utilisation néfaste des conquêtes de la science, on ne saurait oublier le but essentiellement altruiste de celle-ci » (9). Démoralisant encore le recours que fait Mandrake à l'hypnose et à la magie, car il en découle « des péripéties extravagantes, aux composantes hallucinatoires ou effrayantes » (10). Quant aux tarzanides, gorilles parlants et autres robots, ils avaient droit à : « La dignité de la personne humaine exige qu’on reconnaisse toujours à celle-ci son caractère d’indépendance spécifique et d’éminente supériorité par rapport au règne animal et à la matière inorganisée. Il est intolérable qu’on rencontre dans la presse enfantine des gorilles associés comme partenaires aux héros humains du type régressif signalé plus haut, ou même des êtres hybrides faisant la transition entre l’homme et le singe, ou encore d’équivoques robots manifestant des propriétés biologiques, voire des prérogatives de la personnalité (à moins, bien entendu, qu’il ne s’agisse d’une présentation comique)(11). » En résumé, une bande dessinée qui fait rêver est « démoralisante pour les jeunes lecteurs parce qu'elle méconnaît la réalité quotidienne » (12).

II — La première génération de fans

Tel est donc le contexte dans lequel apparaît le fandom (13). Le Club des bandes dessinées constitué en mai 1962, à la suite de l’article de Strinati dans Fiction cité plus haut, est composé de nostalgiques des illustrés de « l’âge d’or », dont le but, affiché dès l’éditorial du premier numéro de leur bulletin de liaison Giff-Wiff (juillet 1962), est la réédition des strips américains de leur enfance, dont la publication fut interrompue par la guerre.
Mais la lutte en faveur du strip et la lutte contre les professionnels de l’enfance sont les deux faces d’une même médaille. Dès son premier numéro, Giff-Wiff propose un sottisier de propos hostiles à la BD, émanant des abbés, des communistes et des universitaires. Le groupe de Francis Lacassin salue de façon militante la publication de Mandrake par les éditions des Remparts (comme les autres grands strips d’avant-guerre, Mandrake s’était arrêté suite aux menaces de la Commission de surveillance), et lance une campagne d’opinion lorsque cette publication est inquiétée à son tour. A propos de Superman, Jean-Claude Romer ne manque pas de signaler que la série suscite « L’ire des moralistes distingués » (14). Lors de l’assemblée générale du 7 juillet 1963, M. Pradeau d’Artima explique le fonctionnement de la Commission de surveillance : « ... Une commission composée de fonctionnaires et de représentants des associations familiales et des patronages, siège au Ministère de la justice. Elle n’interdit rien mais “déconseille” la publication de certaines images, voire d’épisodes. Si l’éditeur néglige ces “conseils”, un procès est alors engagé contre lui, pour atteinte au moral de la jeunesse. [Ces précisions provoquent une tempête de protestations.] (15) » Bernard Trout de la SAGE et Paul Winkler rendent compte des pressions visant à l’interdiction du Fantôme et de Tarzan. Goscinny relate les ennuis de Lucky Luke et l’AG vote à l’unanimité une campagne de presse contre la Commission de surveillance.
Le fait de pouvoir aligner des noms connus  — les journalistes Siclier, Dorémieux, Strinati, le cinéaste Alain Resnais (chargé de Dick Tracy), les dessinateurs Forest (chargé de Popeye) ou Hergé (dans le courrier des lecteurs), les romanciers Boileau et Narcejac (chargés des Pieds Nickelés et de Bibi Fricotin) — n’est pas seulement une caution intellectuelle dans la réhabilitation d’un genre méprisé, mais aussi une mise au point d’ordre sociologique : des cinéastes, des hommes de presse pèsent davantage que des mères de famille méritantes et des chefs scouts. De même, si le CBD se change en 1964 en CELEG (Centre d’étude des littératures d’expression graphique), c’est parce que la situation même des littératures dessinées l’oblige à rechercher une légitimation culturelle. Comme l’écrivait notre complice Manuel Hirtz : « des copains qui reconstituaient la bande des rantanplans (dans Bicot président de club), vexés sans doute d’être pris pour des moutards, finissent en donnant dans le culturel pompeux. » (16) Le CELEG peut afficher dans Giff-Wiff n° 12 (déc. 1964) un comité de parrainage où figurent notamment Jean Adhémar, conservateur en chef du cabinet des estampes de la bibliothèque nationale, l’éditeur Jean Chapelle, Federico Fellini, Pierre Lazareff, directeur général de France-Soir, François Le Lionnais, Paul Winkler, et un conseil d’administration où Alain Resnais et Évelyne Sullerot siègent comme vice-présidents. L’action est apparemment efficace, puisque le numéro 16 de Giff-Wiff de déc. 1965 précise que désormais ce sont les adversaires de la bande dessinée qui rasent les murs. (17)
Cependant le paysage fanique sera dominé par la SOCERLID, dissidence du CELEG créée en 1964, et c’est celle-ci qui structurera le discours fanique. Son coup d’éclat sera la grande exposition « Bande dessinée et figuration narrative » présentée au musée des Arts décoratifs en 1967. L’ouvrage qui tient lieu de catalogue à l’exposition, Bande dessinée et figuration narrative, de Pierre Couperie, Proto Destefanis, Edouard François, Maurice Horn, Claude Moliterni, Gérald Gassiot-Talabot, publiée en 1967, tente un panorama général du médium, mais ce panorama historique le cède à des considérations sur la sociologie, la technique, l’esthétique du domaine. Quant au chapitre sur le courant pictural de la « figuration narrative », caution esthétique de l’exposition, il est par définition hors-sujet, outre qu’il est à l’origine d’un contresens tenace, puisque l’expression « figuration narrative », parfois inversée en « narration figurative », a servi de paraphrase savante de l’expression bande dessinée.
On peut résumer ainsi les caractéristiques méthodologiques du fanisme à la SOCERLID.
1. Le documentalisme. — La SFBD, spin-off de la SOCERLID, organise au Palais de Chaillot puis au Musée des arts décoratifs des projections de dessins animés et de montages sonorisés de diapositives (procédé dit « audiovisuel », alors à la pointe de la modernité pédagogique). La politique de réédition de classiques américains menée par cette même SFBD, sous forme de modestes fascicules, relève également de ce documentalisme. Enfin, on est surpris de constater que certains articles de Phénix, la revue de la SOCERLID, en particulier dans les premiers numéros, sont très proches de leur origine sous forme de conférences et sont à peine rédigés.
2. L’encyclopédisme. — L’héritage le plus durable du fanisme de la SOCERLID est une conception de l’érudition comme encyclopédisme. Le dictionnaire ou l’encyclopédie de la bande dessinée, gigantesque entreprises de listage des travaux d’un auteur, du contenu d’une publication, ou résumés fatalement approximatifs et lacunaires des aventures d’un personnage, est rapidement devenu un genre, après l’ouvrage pionnier, L’Encyclopédie mondiale de la bande dessinée. Entreprise en 1972 pour Tintin (18), et continuée dans Phénix, L’Encyclopédie mondiale témoignait d’une volonté aussi ambitieuse que malavisée de répertorier in extenso personnages, séries, auteurs, publications et jusqu’aux petites mains de l’édition et aux acteurs du milieu, et ce pour tous les pays ! Les deux volumes parus ne vont que jusqu’à la lettre D (19).
3. L’autopromotion. — Sans remettre aucunement en cause le travail pionnier des membres de la SOCERLID, force est de constater que ses activités s’accompagnent d’une autopromotion constante, en particulier de Claude Moliterni, dont le nom figure pas moins de quatre fois dans l’ours de Phénix. Une conséquence est que les érudits de la SOCERLID succombent parfois à la tentation de considérer le domaine comme leur chasse gardée. Nous livrons à la curiosité du lecteur une notice anonyme (mais manifestement écrite par Claude Moliterni, documentaliste de son métier), parue dans Poco n° 7 (oct. 1969), qui salue la parution du livre de Gérard Blanchard, La Bande dessinée (Marabout, 1969). Précisons que La Bande dessinée de Blanchard est l'ouvrage d'un érudit — mais qui ne faisait pas partie du cénacle ! —, ancrant la bande dessinée dans la tradition de l’image séquentielle occidentale (au prix de quelques savoureux contresens, par exemple sur les bibles moralisées), et présentant un panorama remarquablement complet des littératures dessinées occidentales (l’édition française mit en gros un quart de siècle à publier les œuvres reproduites), dans un domaine où il n’existait, à côté des monographies précitées d’Amengual, de Caradec, de Vandromme, que le seul Bande dessinée et figuration narrative et l’ouvrage de Jacques Marny, Le Monde étonnant des bandes dessinées (Le Centurion, 1968), d’inspiration catholique et destiné au public des parents et des éducateurs.

« Cet ouvrage qui traite de la bande dessinée n’apporte aucune information nouvelle sur le problème de la bande dessinée, si ce n’est l’introduction en 160 pages sur le langage graphique depuis les origines. Je pense que c’est donner une part trop importante, dans un ouvrage qui compte 290 pages, aux bas-reliefs, aux fresques du Tassili et aux vases grecs... Je crois qu’il n’a pas fallu attendre la bande dessinée pour découvrir l’Égypte, le Hoggar et la Grèce... Pierre Couperie dans Bande dessinée et figuration narrative avait très bien défini en quelques pages le problème de la narration figurée, sans trop la développer. Par ailleurs, sans vouloir trop critiquer la recherche de documents, il n’y a aucun renouvellement. On retrouve sans cesse les mêmes clichés que j’ai personnellement photographiés, nettoyés de leur couleur... Cela suppose une compilation des ouvrages US, de notre livre Bande dessinée et figuration narrative, de Phénix, du Giff-Wiff, de l’Anthologie Planète et des cahiers du CABD. Être spécialiste de bande dessinée est à mon sens très difficile. On ne peut se décréter un spécialiste en lisant quelques revues. Il faut vivre chaque jour dans la BD, se réunir, travailler, écrire des articles. Déjà un autre ouvrage publié aux Éditions Centurion par Jacques Marny présentait les mêmes erreurs. »

III — Les maladies infantiles de l’érudition

A côté des caractéristiques méthodologiques du fanisme façon SOCERLID, on peut cerner trois caractéristiques idéologiques qu’on pourrait appeler les maladies infantiles de l’érudition.
1. La passéite. — En dépit des tentatives d’élargir l’investigation à des pays nouveaux et à la jeune création, nostalgie et passéisme continuent à structurer le discours fanique. S’ensuivent déséquilibres et lacunes. Des littératures entières ont été négligées par la production fanique d’expression française, par exemple le manga, dont Claude Moliterni nous proposait en toute modestie (dans Phénix n° 21, en 1972) une « petite histoire » en... 6000 signes, d’après une documentation envoyée par Kosei Ono ! Trente ans plus tard, le panorama par pays du BD guide 2005 du même Claude Moliterni (Omnibus, 2004) consacre une quarantaine de pages au seul domaine américain, contre... trois pages seulement pour l’immense continent inconnu que continue d’être la BD mexicaine.
• La restrictivite. — L’érudition fanique s’accompagne d’une définition discrétionnaire du domaine d’étude. Pour la première génération de « spécialistes » français, la BD, c’est avant tout la bande dessinée américaine et, à l’intérieur de celle-ci, le comic strip. Bande dessinée et figuration narrative de Pierre Couperie et de ses collaborateurs, qui se présente comme un ouvrage général, se caractérise par l’importance disproportionnée donnée au domaine américain. On est donc toujours dans l’idée que la BD, c’est d’abord la BD américaine, conception spontanée née des nostalgies enfantines et qui paradoxalement amène une vision aberrante de l’histoire de la BD américaine elle-même : une décennie, les années 1930, et un genre, le comic strip d’aventures dessiné dans le style de l’illustration réaliste, seront, de façon totalement arbitraire, érigés en période et en littérature classiques. (Les titres de chapitres de Bande dessinée et figuration narrative parlent du « bouleversement des années 1930 », alors que les années 1910 à 1928 sont « une période d’adaptation » !). Pire encore, ce domaine américain n’est traité qu’à moitié. Seul le comic strip est étudié, le comic book n’ayant droit qu’à des mentions méprisantes faites en passant (« produits littéralement à la chaîne, selon des genres stéréotypés »).
• la purite. — La délimitation discrétionnaire du champ des littératures dessinées opère aussi au niveau du code. La définition de la BD par la présence de la bulle (censée créer un type de narration spécifique et des rapports texte-image eux aussi spécifiques) renvoie tout autre dispositif à une préhistoire du médium. On trouve ici un emprunt à la littérature secondaire américaine (Coulton Waugh, The Comics, Macmillan, 1947), validé une fois encore par des nostalgies enfantines, en l’occurrence le souvenir de l’épatement des petits lecteurs devant des bandes américaines à bulles, perçues comme révolutionnaires par rapport aux paquets de texte infra-iconiques des bandes françaises.
Ce purisme sémiologique s’étend à des considérations stylistiques. Il est implicite ainsi que le style du dessin de presse est « moins » de la bande dessinée que les styles canoniques, ceux du strip américain ou ceux de la BD belge d’après-guerre, de sorte que des dessinateurs comme Sempé (Monsieur Lambert), ne sont présentés comme auteurs de BD par la littérature spécialisée qu’avec des restrictions et des justifications destinées au lecteur sourcilleux. Quant à des récits en images relevant de la culture « noble », par exemple les romans en gravures de Masereel ou de Lynd Ward, ou encore les œuvres d’un Edward Gorey, ils sont considérés comme « hors-sujet » et manquent toujours dans les ouvrages encyclopédiques.
La restrictivite et de la purite ont donc conduit à circonscrire artificiellement le champ des littératures dessinées en fonction de caractéristiques éditoriales et stylistiques. L’élargissement du champ s’est opéré progressivement et à contrecœur, sous la pression de la critique savante, les spécialistes populaires du domaine se résignant, au terme de défaites successives, à faire place au comic book, à admettre qu’il existait une bande dessinée française et belge, et ainsi de suite jusqu’au manga. Le dernier combat est naturellement celui des formes savantes, des cycles de gravures de Hogarth aux graphic novels contemporains, ce qui explique la virulence des polémiques actuelles autour de ces derniers.
Enfin, restrictivite et purite empêchaient toute vision historique cohérente. Elles entraînèrent un jeu de cache-cache avec les origines. (En particulier, l’histoire de la BD fut coupée paradoxalement de la tradition de l’humour graphique.)

IV — Le compromis avec les éducateurs

Si des projets tels que des projections, des conférences-débats, des émissions à la télévision, des expositions, l’édition de revues spécialisées, si des traits tels que l’encyclopédisme, le purisme, visent clairement une réhabilitation symbolique des littératures dessinées, la position du fandom vis-à-vis des éducateurs adversaires de la BD est cependant ambiguë. D’un côté, l’engouement pour la BD, comme celle pour le jazz, le roman policier ou le cinéma fantastique, appartient à la queue de comète du surréalisme, et de ce fait le caractère transgressif du médium est valorisé. Mais d’un autre côté, la position du fandom vis-à-vis des éducateurs pourfendeurs de BD relève parfois paradoxalement du compromis.
Du côté du CELEG, l’historien du roman populaire, l’exégète de Tarzan qu’est Francis Lacassin, voit dans la BD un héritage « de la mythologie gréco-latine, des chants de trouvères, des contes de fées, des romans feuilletons et des films à épisodes ». Mais Francis Lacassin en conclut bizarrement que cela exclut « les récits complets dont les héros ne connaissent qu’une aventure » (20). Curieuse pirouette, dont le but semble être de retirer du champ les fascicules à l’italienne de l’immédiate après-guerre, appelés précisément « récits complets », présentant souvent des héros « bagarreurs », que la Commission attaqua furieusement.
En décembre 1963 (21), c’est aux comic books que s’en prend Pierre Couperie, notant qu’il leur « était réservé d’assassiner la bande dessinée ». Et l’érudit de se déchaîner dans une prose célinienne : « Nés d’une série d’avortements et de minables petites choses données en primes dans les grands magasins, ces monstres ne commencent à grouiller qu’à partir de 1935-36. » Attaqués par ses pairs, Couperie donnera (22) un argumentaire remarquable surtout par son dogmatisme. Entre autres, il reprochera au comic book le fait qu’il est spécialisé dans un genre. On reconnaît ici un argument emprunté directement à la Commission de surveillance, celui de l’illustré « monolithique ». (Pour que la BD soit moins nocive, il faut que la publication ait un contenu « varié et équilibré », il faut mettre un peu d’aventure au milieu de beaucoup de séries non aventureuses, et surtout de rubriques diverses.)
Mais, ici encore, c’est la SOCERLID qui nous fournit le meilleur exemple d’ambiguïté. Aussi tard qu’en 1970, un article titré « Violence et bande dessinée », signé G. Amadieu et C. Moliterni, dans Poco n° 11 (fév. 1970) précise ceci :

« Un fait est certain : dans ce domaine [les comic books], pas d’humour, pas de querelles conjugales, pas de farces enfantines : ni joyeuses énormités, ni observation sarcastique des mœurs ; les comic books sont entièrement voués à l’aventure : aventures policières ou exotiques, récits tellement échevelés qu’on hésite à les qualifier de science-fiction, surtout aventures de personnages masqués et costumés aux pouvoirs surnaturels, toute la tribu des Superman, Wonder Woman, Batman, Captain Marvel, Captain America, Green Lantern, etc. Ce qui formait une petite partie des comics de la presse et leur fournissait un assez faible contingent de violence constitue 100 % des comic books. Le héros, victime de scénarios implacablement stéréotypés, y est vainqueur par ses muscles ou maîtrise physiquement ses adversaires grâce à ses pouvoirs magiques. La puissance musculaire, ou l’impuissance devant le héros, y sont une obsession. Ce fait est, croyons-nous, indéniable. »

Une telle description trahit, de la part de « spécialistes » de la BD fort attachés à leur statut d'experts, une ignorance déconcertante du domaine des comic books. L’existence de séries comiques — en particulier du champ immense des séries animalières —, est passée sous silence. Quant aux comics de superhéros, il y a quelque paradoxe à les décrire comme s’il s’agissait de « récits complets » façon Alain la foudre. Les histoires de Superman scénarisées par Otto Binder, Jerry Coleman, Bill Finger, etc. se caractérisent par le merveilleux féerique et par l’inventivité des situations, qui représentent autant de petits défis à la logique, nullement par le recours à la violence.
Dans leur ignorance du domaine, les spécialistes français recyclent hors de son contexte un discours américain hostile aux comic books, qui seraient inadaptés à un public enfantin du fait de leur violence et leur outrance, et seraient publiés par appétit du gain par des éditeurs peu scrupuleux et plus ou moins clandestins, contrairement aux comic strips qui, eux, s’adressent à un public familial, sont publiés par des piliers de l’establishment et sont par conséquent au-dessus de tout soupçon. Cependant cet emprunt à une rhétorique américaine ne tombe pas dans un terrain idéologique neutre. En décalquant le discours américain sur la violence présumée des comic books, les exégètes français valident du même coup les critiques des professionnels français de l’enfance contre la BD en cherchant seulement à en circonscrire la portée aux « mauvais » comic books. Cette convergence des discours va jusqu’au mimétisme. Avec son style pompeux, son orthographe hésitante, ses aperçus à mi-chemin de l’esthétique et du jugement moral, « Violence et bande dessinée » constitue un pastiche, déjà tardif, de la prose de la Commission de surveillance et de contrôle.

§ 3. — le début de la méthode scientifique

I — L’historicisme de David Kunzle

Le début des années 1970 vit paraître une remarquable somme qui remettait en cause l’histoire de la BD héritée du fandom et des premières tentatives d’institutionalisation du médium. L’historien marxiste britannique David Kunzle, installé aux États-Unis, publia en 1973 le premier tome d’une histoire de la narration en images européenne depuis ses origines à la fin du XVe siècle jusqu’au XIXe siècle. Un deuxième volume paru près de vingt ans après le premier étudiait le XIXe siècle, ici encore pour l’Europe entière (23). Le trait remarquable du monument scientifique de Kunzle était son exhaustivité, puisqu’il proposait pour les époques antérieures au XIXe siècle le corpus intégral de la littérature en images imprimée.
L’ouvrage fut reçu par des dénonciations furibondes du fandom américain, qui avait fondé la discipline entière sur la thèse que la bulle amenait une révolution sémiotique qui modifiait radicalement la nature du récit en images. Du côté du fandom français, l’ouvrage fut passé totalement sous silence. (Il était par exemple absent de la « bibliographie des ouvrages étrangers essentiels » du BDM aussi tard qu’en 1996 (24).)
Plus curieusement, l’ouvrage n’eut pas davantage de postérité dans la littérature secondaire savante, alors même que les rares aperçus sur la bande dessinée donnés par le monde scientifique la mettaient systématiquement en liaison avec l’imagerie populaire et la gravure. En France, il fallut attendre la deuxième génération de la critique savante, notamment l’équipe réunie par Thierry Groensteen, pour enfin prendre acte de la révolution kunzlienne. Et rétrospectivement, le second volume du « Kunzle », celui consacré au XIXe siècle, apparaît à tous égards anticipateur et fondateur, puisque le fandom américain se passionne désormais pour la BD de l’ère victorienne, baptisée Platinum age.

II — la sémiologie triomphante des années 1970

Il n’est pas étonnant que l’ouvrage de Kunzle soit tombé dans une relative indifférence de l’université française. Peu impliquée dans l’étude des littératures dessinées (25), l’université est dominée alors par le courant sémio-structuraliste, dont le biais anti-historique est bien connu.
Cependant, cette centralité de la sémiologie de la BD, marquée pendant les années 1970 par les travaux de Pierre Fresnault-Deruelle (26), apparaît elle-même comme une sorte d’accident de l’histoire. On peut relever à cet égard trois paradoxes. Pour commencer, la sémiologie triomphante est déjà passée à l’époque des travaux de Fresnault. D’autre part, plus que par les arrière-pensées scientistes et par le marxisme stylisé (27) de la première sémiologie, les travaux du chercheur pionnier sont caractérisés par une idéologie libertaire, typique de l’époque et aussi — ceci n’est pas à négliger — du milieu de la BD, auteurs et fans confondus. Pour finir, le succès de l’approche sémiologique est peut-être le plus vif non auprès de l’université, mais auprès du public des enseignants, soucieux d’aborder la BD en classe, et qui trouvent dans les modèles formels de la sémiologie des modèles pédagogiques.
Quant au fandom, il conserva longtemps une attitude effarouchée vis-à-vis d’une démarche considérée comme abstruse et inutilement jargonnante, dupliquant en cela l’attitude des dessinateurs eux-mêmes, qui avaient accueilli les premiers discours savants sur la bande dessinée avec beaucoup de scepticisme, en se réfugiant derrière la thèse qu’ils étaient purement des amuseurs.
Tardives, les études d’inspiration sémiologique sont également tributaires d’un appareil conceptuel clairement inadapté à son objet (28). Jan Baetens, dans la recension d’un ouvrage de Jean-Paul Gabilliet sur le site Fabula note ceci :

« Il n’est pas impossible de nommer avec précision où le bât blesse : la dérive formaliste, héritage de l’ancienne sémiotique des années soixante, soit la tentative de définir la bande dessinée comme un langage, avec ses propres unités et ses propres codes. Bien entendu, pareille recherche est nécessaire (et force est de reconnaître que les versions contemporaines de ce projet, dont la forme la plus accomplie a été donnée par Thierry Groensteen dans son Système de la bande dessinée excèdent de toutes parts les premiers essais de description sémiotique). Ce qui pose problème, c’est son hégémonie, qui risque de produire une certaine sclérose et qui n’est pas, en tout cas, la réponse adéquate aux défis de légitimation du média. Ne pouvant faire carrière en bande dessinée, les jeunes universitaires ne sont guère tentés de se lancer [ni] de se spécialiser dans un tel objet, qui se voit ainsi souvent condamné soit à la quasi-répétition de certains acquis, soit aux marges d’une sorte de fandom supérieur.  »

III — Vers une approche néo-sémiologique

D’un autre côté, un appareil conceptuel et méthodologique est indispensable dans la stripologie, comme dans n’importe quelle science. Bien plus, une approche néo-sémiologique, débarrassée d’un certain intégrisme sémiologique, se révèle particulièrement adaptée au médium, du fait des caractéristiques formelles de celui-ci, en particulier du fait de l’importance du dispositif, qui impose la nécessité d’une sémiotique du dispositif. Les trois ouvrages fondamentaux sur le sujet proposent tous trois une telle sémiotique : Case, planche, récit de Benoît Peeters (29), Pour une lecture moderne de la bande dessinée de Baetens et Lefèvre (30), et Système de la bande dessinée de Groensteen (31).
Il faut donc achever l’aggiornamento de la sémiologie des littératures dessinées, quitte à se séparer de l’axiomatique de la sémiologie de l’image, même si une telle correction méthodologique provoquera inévitablement les ricanements des plaisantins (il s’agit, selon l’expression de Thierry Groensteen, de proposer une « sémiologie sans signes »).

DEUXIÈME PARTIE : LE GRAND GEL

Nos considérations sémiologiques nous ont menés trop avant. Comment se présente la situation critique de la bande dessinée vers 1970 ? La question n’a rien de frivole, car cette situation explique dans une large mesure l’état actuel des discours sur le médium.
• D’un côté, la Commission de surveillance qui ne désarme pas et ne désarmera jamais, mais perdra progressivement son pouvoir de nuisance, après les derniers grands coups qu’auront été l’interdiction de publications de superhéros (32).
• Autour, le monde des éducateurs (enseignants, parents, mouvements de jeunes), qui n’a pas été insensible à l’action des propagandistes de la BD et à un certain air du temps, et qui est disposé à donner à la BD le bénéfice du doute, à la suite de l’ouvrage déjà cité de Jacques Marny, ou du courageux ouvrage d’Antoine Roux, La Bande dessinée peut être éducative (L’École, 1970).
• En face, si l’on peut dire, une avant-garde post-surréaliste, autour de la librairie Le Kiosque de Jean Boullet et de son bulletin (1966-69), et une prolifération de fanzines, dont Phénix, déjà cité, qui comptera 48 numéros de 1966 à 1977, le Ran Tan Plan d’André Leborgne (créé en 1966), Schtroumpf les cahiers de la bande dessinée de Jacques Glénat (créé en 1969), Hop (créé en 1973), etc.
En apparence, la BD a donc achevé son purgatoire et le temps paraît loin où elle faisait les gros titres de la presse et l’objet de doctes articles dans les revues de bibliothèque du fait de sa dangerosité présumée.
Ce consensus autour du médium n’est cependant pas sans équivoque.

§ 1. — Pédagogisme et ordre moral

Du côté des enseignants, le changement est dicté en partie par des considérations d’opportunité, la BD ayant une réputation de modernité, précisément parce qu’elle a été abordée par ses premiers exégètes au titre de la culture de masse, désormais dominante. (Depuis le Club des bandes dessinées, les Tarzan et autre Superman sont des « mythes modernes ».)
La conversion des enseignants relève parfois du parti pris, voire de la lubie pédagogique, dont témoigne le fait qu’un argument puisse se retourner comme un gant. (On reprochait au « parler schtroumpf » de dissuader l’enfant d’enrichir son vocabulaire ; on relève brusquement qu’il s’agit d’un ingénieux exercice de compréhension.)
Enfin, dans la littérature didactique, la BD est instrumentalisée comme un outil pédagogique propre à plaire à des enfants, et on l’utilise par conséquent en classe pour enseigner tout autre chose, histoire, lettres, etc. Même en ce qui concerne l’initiation au code de la BD, les ouvrages de pédagogues se situent jusqu’à nos jours dans un cadre plus général, celui de l’étude du récit et de l’étude de l’image. Cette instrumentalisation de la BD à des fins didactiques est parfois contestable. En particulier, l’emploi de la BD pour faciliter à l’enfant l’abord des œuvres littéraires paraît reposer sur une erreur méthodologique. Si un collégien a du mal à lire les Lettres de mon moulin, les lui donner à lire en BD, c’est rajouter une nouvelle complication, celle d’une deuxième couche de code.
Du côté de la Commission de surveillance, on note la permanence d’un rigorisme moral, phénomène qui est un peu déguisé par le fait que le contenu véhiculé par ce rigorisme change avec les époques. En bout de course, au début du XXIe siècle, c’est au nom de l’antiracisme, de la rectitude politique (political correctness), du multiculturalisme, que l’on vilipende les mauvaises bandes dessinées, et non plus parce qu’elles font une place trop grande au rêve et à l’imaginaire. En témoignent les ennuis faits en 2004 par la Commission de surveillance à Riad Sattouf, pour Ma circoncision, paru aux éditions Bréal, au motif que l’auteur décrivait sans fard la réalité du monde islamique, en l’occurrence, la Syrie des années 1980, dans sa violence sociale et dans son antisémitisme d’État. En un retournement paradoxal, c’est le dénonciateur qui se retrouva en position d’accusé, la Commission recommandant à la fois l’interdiction aux mineurs et des... poursuites pour incitation à la haine raciale, avant que toute l’affaire ne tourne en eau de boudin (33).

§ 2. — les périls du sociologisme

Quant au discours médiatique sur la BD, il amène la réflexion suivante : malheur à une forme qui n’a pas été théorisée, qui n’a pas de statut bien précis, mais qui devient, pour emprunter à la phraséologie des médias, un « phénomène de société ». Le discours médiatique se fige dès les années 1970. Produit sur le mode de l’événementiel et concentré sur quelques têtes d’affiches, informé par une recherche du pittoresque et par un œcuménisme bien-pensant, ce discours installe définitivement la bande dessinée dans son statut de minorité institutionnelle, en se contentant de rajouter à son public supposé, enfantin et populaire, le segment des fans et des collectionneurs, considérés comme une population de doux maniaques. Loin d’être le garant d’une réception de la bande dessinée dans la culture savante, le discours des médias la cantonne dans la sphère de la consommation de loisirs, l’infantilisme supposé du médium constituant paradoxalement son sauf-conduit dans une culture du divertissement qui est elle-même foncièrement infantilisante.
La critique journalistique de la BD possède, au terme de son évolution, quatre caractéristiques :
1. Elle n’assume pas sa fonction critique, mais se considère comme un simple relais du discours de promotion des albums.
2. Elle perpétue les hiérarchies existantes. (Les grands auteurs sont toujours les mêmes ; les changements sociologiques — arrivée du manga, triomphe de la bande dessinée « indépendante » — sont pris en compte de façon tardive et embarrassée.)
3. Elle est éblouie par les variables socio-économiques qui servent aussi de paravent en cas de situation embarrassante. Quand un album d’une série célébrissime dépasse les bornes de la médiocrité, on se rabat sur le « mythe » que représente le personnage, ou sur le poids économique de l’opération (tirage, mise en place, etc.).
4. Elle se défend elle-même de façon frileuse.
Comme on le voit, une telle critique est en réalité celle des années 60, où l’on était trop content qu’on puisse parle de BD pour songer à bousculer le statu quo, le seul ajout notable étant celui d’un discours économiste, repérable dès les années 1980.
Du côté de la culture savante, la situation reste à ce jour celle du rendez-vous manqué. La bande dessinée est perçue à la fois comme ésotérique et comme populaire, de sorte qu’un intellectuel qui n’est pas lui-même, par un hasard biographique, un spécialiste du domaine se sent « de trop » dans le milieu, à la fois parce qu’il a conscience de ne pas posséder l’immense érudition qui est désormais exigée quand on aborde le médium, et parce que la BD traîne des boulets symboliques et sociologiques (commercialisme, anti-intellectualisme, association à la « culture jeune », etc.).
D’un autre côté, une génération entière a grandi dans la culture de la BD. Cette génération comprend mal pourquoi le cinéma ou certains genres littéraires considérés comme mineurs (littérature policière, Fantasy), ont droit de cité dans les supports ad hoc, alors que la BD n’y est traitée que par exception, sur le mode de la chronique ou du numéro spécial.

§ 3. — le triomphe du fanisme

En ce qui concerne le fandom, on peut parler d’un progressif accès à la maturité. Les ouvrages sont de mieux en mieux faits et mènent à un véritable encyclopédisme, même si cet encyclopédisme se situe plus vraisemblablement du côté de bases de données accessibles sur la toile et d’ouvrages spécialisés sur des auteurs ou des éditeurs (34) que du côté des fameux dictionnaires ou encyclopédies de la BD.
A quoi s’ajoute une nouveauté, le bon travail de journalisme, par exemple la biographie, recherchée et documentée, de telle figure de la BD (35).
Simultanément, il faut signaler la persistance des vieux défauts.
• Encyclopédisme et restrictivite (avec sa complication, la purite) apparaissent comme les deux faces d’une même médaille. Il faut, dans les travaux d'érudition, se cantonner dans un domaine ; il faut le traiter de façon exhaustive. Manquent dont deux préoccupations essentielles à une vision savante, celle d’une hiérarchie et celle de la postérité des œuvres, autrement dit de la constitution d’un canon. Pour ne donner qu’un exemple, écrire que Stan Lee et Jack Kirby inventèrent quelque chose de radicalement neuf avec les Fantastic Four et qu’ils déclinèrent ensuite leur recette à l’infini est impossible, car les auteurs de la littérature secondaire sur les comic books de superhéros sont personnellement attachés aux différentes séries, qu’ils découvrirent enfants ou adolescents, et dont ils considèrent l’évolution comme une sorte d’épopée.
De même, des catégories définies par le fandom et considérées comme étanches empêchent toute analyse en profondeur. Citons parmi celles-ci la séparation des formes et des supports (par exemple le newspaper strip et les comic books) ; la séparation des écoles nationales (par exemple école franco-belge et école américaine) ; la séparations des générations. Écrire que Tardi est héritier d’E.-P. Jacobs — ce qui est aisément vérifiable à travers une analyse sémiotique — apparaîtra comme un paradoxe aux yeux de tout amateur moyen, car il est bien connu que Tardi appartient à une BD « adulte » née dans la revue Pilote et n’a rien de commun avec le classique belge de la BD pour la jeunesse qu’est Blake et Mortimer.
• Le populisme culmine dans un anti-intellectualisme, dont on a vu qu’il n’était pas absent chez les dessinateurs eux-mêmes dans les années 1960, au moment où la BD accédait à la culture savante. Dans les années 1980, un exégète comme Henri Filippini, fort actif aux éditions Glénat, s’était donné pour tâche de vitupérer tout discours savant sur les littératures dessinées, et un collaborateur des Cahiers de la bande dessinée, dirigés à cette époque par Thierry Groensteen, savait en prenant la plume qu’il se ferait traiter de prétentieux et de snob, mais aussi, plus curieusement, de raté et d’aigri revanchard — comme si un théoricien était nécessairement un auteur frustré et comme si un discours savant sur la BD était nécessairement un discours hostile à la BD (36). Il arrivait aussi — et il arrive encore — qu’on se fasse traiter de parasite, comme si le discours savant était nécessairement redondant et exploitait de façon opportuniste un milieu qui aurait eu vocation à fonctionner en autarcie. On retrouve à la base de telles réactions la volonté d’hégémonie sur le discours critique des premiers spécialistes, mais aussi des attitudes qui s’analysent comme de violentes oppositions de classes.

§ 4. — Vers une avant-garde ?

Nous venons de citer les Cahiers de la bande dessinée, dirigés par Thierry Groensteen du n° 56 (fév.-mars 1984) au n° 83 (déc. 1988). Dénoncée pour son intellectualisme et pour son radicalisme supposé par les chiens de garde, la revue se caractérise tout au contraire aux yeux de l’historien par sa prudence et sa volonté de compromis, puisque les auteurs en vogue y voisinent avec des œuvres plus difficiles et avec les classiques, dont l’étude est enfin débarrassée des nostalgies aveuglantes.
Pour ce qui est de la littérature secondaire vitupérative et imprécatoire sur la bande dessinée, ce n’est pas du côté des « Cahiers de Groensteen » qu’il faut la chercher, mais dans l’avant-gardiste STP de Thierry Lagarde (quatre numéros, du numéro zéro de 1976 au numéro trois de 1980), le Controverse de Bruno Lecigne (quatre fascicules entre mai 1985 et mai 1986), le Dorénavant de Balthazar Kaplan et Barthélemy Schwartz (huit fascicules de 1986 à 1989). Leurs héritiers modernes sont l’Éprouvette de Jean-Christophe Menu, et, dans une version considérablement adoucie, le Bananas d’Évariste Blanchet et le Comixclub de Big Ben et Jean-Paul Jennequin (éditions Groinge).
La situation de cette avant-garde est doublement paradoxale. Pour commencer, la notion même d’avant-garde est sujette à caution, dans un domaine où après tout il n’existe aucune définition claire de l’académisme (37). En second lieu, la production manifestaire des avant-gardes bédéiques tombe dans un contexte sans équivalent dans les autres arts, puisque, dans le champ de la bande dessinée, c’est l’avant-garde qui se fait agonir d’injures par les gardiens du troupeau, le simple fait de ne pas vouloir cantonner la BD aux séries commerciales (c’est-à-dire, littérairement parlant, à une production de feuilletonistes) étant considéré comme un forfait inexpiable.

§ 5 — Quel discours pour la BD ?

Si l’on se place à présent dans une perspective plus large, on peut repérer deux caractéristiques de la littérature secondaire sur la BD, qui la condamnent à la réplication.
• Une incapacité à fabriquer un discours. Tous les discours sur la BD sont des pastiches parfois inconscients de discours préexistants. Considérons les deux extrémités du champ. Les revues sur la BD destinées au grand public adoptent le projet éditorial de la presse spécialisée (elles ne diffèrent en rien de revues consacrées à la moto ou aux sports de combats), quand elles n’imitent pas la presse « people ». A l’autre extrémité, le discours universitaire est suspendu entre l’héritage sémiologique, dont nous avons signalé les limites, et l’héritage fanique, et relève souvent de ce fait du « fandom supérieur » dont parlait Baetens.
• Une incapacité à spécialiser les discours. La littérature existante se caractérise en second lieu par l’incapacité d’élargir son répertoire. Ainsi, la littérature para-universitaire ne consiste qu’en ouvrages généraux. Si tous les éditeurs spécialisés semblent désireux d’ajouter un titre sur la BD à leur catalogue de monographies, il n’existe tout simplement pas d’introduction savante à un genre (par exemple la BD d’aventures), à une forme (par exemple la BD muette), ni même à une période historique ou à une école nationale, sujets sur lesquels il faut se contenter de la littérature fanique. Et ne parlons même pas d’études techniques relevant de la stylistique, de la mythocritique, de la poétique des genres (par exemple l’autobiographie et la quête du moi en BD), pour lesquels il faut se contenter, dans le meilleur des cas, d’articles ou de dossiers dans les revues comme 9e Art.
Ce déficit de discours a incontestablement fragilisé la BD face aux théories disqualifiantes d’une certaine avant-garde née dans le sillage du sémio-structuralisme. Derrière l’opposition apparente entre BD « d’auteurs » et BD « grand public » se cache une polarisation entre narcissisme et commercialisme. Narcissisme parce que l’une des rares options encore ouvertes une fois qu’on a invalidé le projet même de raconter des histoires est la contemplation de son nombril. Quant au commercialisme, il relève dans un tel contexte de la prédiction auto-réalisatrice : puisque raconter des histoires est idiot, soyons idiots et assumons notre idiotie en racontant des histoires de cape et d’épée, de féeries imitées de Tolkien, ou d’espionnage occultisantes.

§ 6.  — Attitudes souhaitables

Au risque de paraître achever sur une liste de vœux pieux, proposons quelques remèdes au gel du discours sur les littératures dessinées.
Nous indiquerons pour commencer deux attitudes éditoriales.
• L’édition des classiques. — La bande dessinée offre le cas unique d’une littérature dont les classiques ne sont pas disponibles. Ce par quoi tout commence en littérature écrite — le fait qu’un adolescent achète un grand roman en édition de poche pour trois sous et le lise — est empêché en BD par le fait que le classique n’est pas édité, ou que, s’il existe dans une édition déjà ancienne, celle-ci atteigne une cote plus ou moins élevée, ou encore que cette édition n’est accessible que dans un fonds documentaire. Corrélativement, les encyclopédies et autres dictionnaires de la BD ont une véritable fonction de fossoyeurs. Les notices consacrées aux « pionniers de la BD », voire à des strips classiques, confortent l’idée que cette littérature n’a plus vocation à être lue, qu’elle se confond définitivement avec une liste de noms rituellement recopiés d’ouvrage en ouvrage.
• La collaboration avec les auteurs. — Les auteurs sont les grands absents dans la production du discours sur la bande dessinée (alors qu’en littérature écrite, les écrivains ont évidemment été les premiers théoriciens de leur pratique). Il faut donc établir des ponts entre théoriciens et praticiens de la BD. La critique dessinée, très pratiquée par les revues d’avant-garde (L’Éprouvette, Comixclub), constitue l’un de ces ponts, de même que la production oulipienne de l’Oubapo.
Nous proposons en second lieu trois attitudes méthodologiques.
• La prééminence du dispositif. — La théorie doit dépasser la problématique des rapports texte/image, qui est fondamentalement viciée, au profit d’une analyse de l’unité que Van Lier nomme le multicadre, Groensteen le dispositif spatio-topique.
Sur un plan pratique, il faut privilégier, croyons-nous, l’étude de planche. Celle-ci procure la distance adéquate entre deux conceptions également réductrices, une obsession du détail (qui conduit à une surinterprétation, quand ce n’est pas à la recherche de prétendus codes élémentaires) et une appréciation globale, ramenant à des considérations narratologiques et idéologiques trop générales. L’étude de planche permet de donner l’équivalent pour la BD de l’explication de texte telle qu'elle est pratiquée par Auerbach (Mimésis) ou de la description en peinture telle qu'elle est pratiquée par Panofsky. Enfin, cette étude se nourrit de considérations techniques et bibliographiques, en favorisant le recours aux archives (comparaison avec les brouillons s’ils existent, examen de la planche originale, examen comparatif des éditions).
• Les ponts avec les arts du récit. — En second lieu, la théorie doit surmonter le problème de la spécificité de la BD, hérité du purisme fanique, pour situer les littératures dessinées dans le reste de la fiction à commencer par... les littératures écrites, avec lesquelles la bande dessinée partage son support (l’imprimé) et son mode de diffusion (la librairie). Corrélativement, il convient de dépasser l’opposition superficielle entre littératures populaires et littératures savantes, et le problème connexe de la légitimation des littératures dessinées. Enfin, il faut se préserver de l’illusion sémiologique consistant à voir dans les codes de la bande dessinée un langage, et dans les productions dessinées un simple usage de ce langage.
• La création d’outils conceptuels adaptés. — Pour finir, la stripologie doit créer ses propres outils. Les caractéristiques éditoriales des littératures dessinées (elles sont en général abondantes et régulières) impliquent qu’on les étudie, plus que d’autres, en termes de régularités et de variations. La contraction du temps propre aux littératures dessinées (un auteur exerçant il y a vingt ans est déjà un classique) doit être prise en compte non dans une perspective sociologique (celle d’une littérature qui serait vouée à l’obsolescence), ni même historique (au titre d’un inextricable débat sur l’origine), mais comme une donnée objective. Il convient enfin de faire une place dans l’analyse aux éléments mythopoétiques des littératures dessinées, en évitant ici encore le sociologisme. La bande dessinée n’a nullement vocation à être le reflet des croyances et des représentations d’une époque. Les littératures dessinées sont au contraire créatrices de mythes. Elles s’intègrent dans la continuité d’une littérature allégorique occidentale. Elles utilisent de façon innovante un registre qui est celui de la Fantasy.

Harry Morgan


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(1) Le Petit monde de Pif le chien : Essai sur un « comic » français, Travail et Culture d’Algérie, 1955. Retour au texte

(2) Christophe Colomb, Grasset, 1956, Réédition Pierre Horay, 1981. Retour au texte

(3) Le Monde de Tintin, Gallimard, collection L’Air du temps, 1959, Réédition La Table Ronde, collection La Petite Vermillon, 1994. Retour au texte

(4) N° 117, février 1957. Retour au texte

(5) NRF, 1 sept. 1938, p. 527, reproduit dans Pierre Hebey, L’Esprit NRF, Gallimard, 1990, p. 1202-3. L’abbé Bethléem menait, comme le communiste Sadoul, la bataille contre les mauvaises lectures, mais du côté catholique. Retour au texte

(6) « Bandes dessinées et Science-fiction, l’âge d’or en France 1934-1940 », Fiction n° 92, juil. 1961. Retour au texte

(7) Différent était le régime des publications étrangères. Elles devaient bénéficier d’un avis favorable de la Commission à leur importation. Ceci explique la vulnérabilité de la BD belge face à la Commission.
Précisons que si les militants du combat contre les illustrés de l’« âge d’or » qui œuvraient à la Commission commencèrent par exiger — et obtinrent effectivement — l’arrêt des grands strips américains d’aventures, Tarzan, Mandrake, Flash Gordon, The Phantom, King of the Royal Mounted, etc., leur hostilité ne se bornait nullement au domaine américain. La thèse, souvent reprise, selon laquelle la Commission aurait souhaité une « désaméricanisation » de la BD, et favorisé en retour l’émergence d’une « bonne » BD francophone ou européenne, est par conséquent totalement erronée. Du reste, le strip américain ne disparut jamais complètement de la presse enfantine. Il figure par ailleurs en bonne place dans la presse pour adultes. L’Aurore publie au milieu des années 1950 le strip britannique Jeff Hawke, et les strips américains Rip Kirby, Le Fantôme, Big Ben Bolt, Blondie et La Famille Illico (Bringing Up Father). Retour au texte

(8) Compte rendu des travaux de la Commission de surveillance, Melun, imprimerie administrative, 1950, p. 28. Retour au texte

(9) Compte rendu des travaux de la Commission de surveillance, 1965, p. 11. Retour au texte

(10) Commission de surveillance, P. V. n° 62, 10 oct. 1963. Retour au texte

(11) Compte rendu des travaux de la Commission de surveillance, 1950, p. 26, doctrine rappelé en termes similaires par le Compte rendu de 1965 : « la représentation — éloignée de toute intention comique — d’êtres hybrides, animaux ou robots, auxquels sont attribuées les prérogatives de la personnalité » sont « une atteinte à la dignité humaine. » Retour au texte

(12) Commission de surveillance, P. V. n° 64, 12 mars 1964. Retour au texte

(13) Pour un historique du fandom français, voir Thierry Groensteen, Un Objet culturel non identifié, Editions de l'an 2, collection Essais, 2006. Retour au texte

(14) Giff-Wiff, n° 3-4 (déc. 1962), p. 6. Retour au texte

(15) Giff-Wiff n° 7 (juil. 1963), p. 7. Retour au texte

(16) Le Petit Critique illustré, PLG, 1997, p. 160. Retour au texte

(17) « Désormais le mouvement est renversé. Fini le temps où l’on n’osait plus avouer son intérêt pour les bandes dessinées. Aujourd’hui les gens à qui elles inspirent du mépris n’osent plus l’avouer en public. Ils s’en cachent honteusement. » (Giff-Wiff n° 16, déc. 1965, p. 3.) Retour au texte

(18) N° 1210 du 6 janvier 1972. Retour au texte

(19) Vol. 1 : De A à CAP, SERG, 1974 ; Vol. 2 : De CAP à DEA, SERG, 1975. Dans Phénix, on poursuivra jusqu’à DON. Retour au texte

(20) Assemblée générale du CBD, Giff-Wiff n° 7, juil. 1963, p. 6. Maurice Horn protestera dans le n° 9 (mars 1964) p. 46, en citant le strip « intellectuel ». Retour au texte

(21) Giff-Wiff n° 8 (déc. 1963), p. 17. Retour au texte

(22) Giff-Wiff n° 9 (mars 1964), p. 43-44. Retour au texte

(23) David Kunzle, History of the Comic Strip, volume 1 :The Early Comic Strip : Narrative Strips and Picture Stories in the European Broadsheet, from c. 1450 to 1825, University of California Press, 1973 ; The History of the Comic Strip : The Nineteenth Century,University of California Press, 1990. Retour au texte

(24) Bera, Denni, Mellot, Trésors de la bande dessinée, édition 1997-1998, éditions de l’amateur, 1996. Retour au texte

(25) La revue Giff-Wiff précise dans son n° 12 (déc. 1964) qu’une demi-douzaine d’adhérents du CELEG prépare des thèses, mémoires ou travaux similaires, et donne les coordonnées de Thierry Martens, qui prépare une licence ès lettres. La première thèse française sur la BD, celle de Pierre Fresnault-Deruelle, ne sera soutenue qu’en 1970. Retour au texte

(26) La Bande dessinée : l’univers et les techniques de quelques comics d’expression française : essai d’analyse sémiotique, Hachette Littérature, 1972. Récits et discours par la bande : essais sur les comics, Hachette, collection Essais, 1977. La Chambre à bulles : essai sur l’image du quotidien dans la bande dessinée UGE Christian Bourgois, collection 10/18, 1977. Pierre Fresnault-Deruelle reprendra dans les années 1990 et 2000 des études, en particulier sur Hergé, à mi-chemin de la sémiologie et de la rhétorique. L’ouvrage d’inspiration sémiologique de Pierre Masson Lire la bande dessiné, publié aux Presses Universitaires de Lyon,dont la première édition est de 1985 est déjà tardif. Retour au texte

(27) Nous empruntons à Thomas Pavel l’expression géniale qu’il applique à Mythologies de Roland Barthes. Retour au texte

(28) Nous renvoyons, pour la démonstration, à nos Principes des littératures dessinées, L’an 2, 2003. Voir en particulier le livre trois. Retour au texte

(29) Casterman, 1991, deuxième édition révisée, Casterman, 1998, réédition Flammarion, collection Champs, 2003. Retour au texte

(30) Sherpa/CBBD, 1993. Retour au texte

(31) PUF,1999. Retour au texte

(32) Certaines publications de bandes dessinées n’étaient pas déposées comme publications pour enfants. Mal leur en prit, car elles échappaient dès lors au régime habituel du chantage de la Commission assorti de menaces de poursuites pénales au titre de l’article 2 de la loi de 1949. Par contre la Commission put demander à leur encontre les interdictions administratives prévues à l’article 14 de la loi de 1949, visant les publications pour adultes. Tonnerre, publié par les éditions des Remparts, qui contenait les Thunder Agent, subit en 1967, au bout de 10 numéros, une triple interdiction (à la vente aux mineurs, à l’exposition et à la publicité). Spectre, publié par Arédit, qui contenait Flash, Green Lantern, The Spectre, Challengers of the Unknown, Dr Fate and Hourman, Hawkman, Doom Patrol, subit en 1968 une double interdiction au bout de 4 numéros. Marvel, édité par LUG, fut interdit aux mineurs en 1971, année où, du fait d’une surtaxe de TVA, une telle mesure équivalait à une condamnation à mort. Il faut ajouter le sabordage imposé par la Commission, en 1969, selon le régime de l’article 2 de la loi de 1949, à Fantask, édité par les éditions Lug, qui publiait les Fantastic Four, Spider-Man et le Silver Surfer. L’Inattendu , lancé par Artima en 1975, fut interdit aux mineurs en 1980 (arrêté du 16 décembre 1980) et l’éditeur l’arrêta. La revue publiait au moment de l’interdiction The Black Panther, Luke Cage/Power Man, Omega et Nick Fury. Retour au texte

(33) On consultera les documents originaux dans Art Press Spécial : Bandes d’auteurs, hors-série n° 26, 2005, p. 49-51, numéro dirigé par Bernard Joubert. Retour au texte

(34) Par exemple les remarquables études de Gérard Thomassian, Encyclopédie des bandes dessinées de petit format, Tome I Impéria, Chez l’auteur, 1994, Tome II Lug, Chez l’auteur, 1995, Tome III Editions Pierre Mouchot, Chez l’auteur, 1997, Tome IV vol I., Aventures et voyages : 1946-1958, Fantasmak Edition, 2004. Retour au texte

(35) Citons à titre d’exemple l’excellent travail de Benoît Mouchart, Jacques Van Melkebeke, le clandestin de la BD, Vertige Graphic, 2002. Retour au texte

(36) « Un fanzine à lire si vous souhaitez vous dégoûter de ces brasseurs de mots remplis de rancœur contre ce qui marche. » Circus, n° 113, sept. 1987, à propos du fanzine Dorénavant. Retour au texte

(37) Nous renvoyons à notre article « Mauvais sujet. Quels discours sur la BD » ArtPress hors-série n° 26, op. cit., p. 61-67 et à sa réponse par JC Menu « Avant-garde et ultracritique », L’Éprouvette n° 1, p. 173-186. Retour au texte