LA UNE DE L'ADAMANTINE
L'ADAMANTINE STRIPOLOGIQUE
L'ADAMANTINE LITTÉRAIRE ET POPULAIRE
L'ADAMANTINE ARTISTIQUE ET MONDAIN
L'ADAMANTINE EN ESTAMPES
L'ADAMANTINE STIRPOLOGIQUE

MYTHOPOEIA
LA CRÉATION DU MYTHE DANS LES LITTÉRATURE DESSINÉES

Par Harry Morgan

Introduction
Notes pour construire un monde

Aucune littérature ne s’est montrée aussi préoccupée d’elle-même. Aucune n’a consacré autant d’efforts théoriques à se définir elle-même. Aucune n’a à un tel degré fondé cette définition d’elle-même sur la thèse d’une différence fondamentale avec les autres formes narratives, d’une singularité, voire d’une anomalie –, ou alternativement sur la thèse d’un compromis paradoxal entre des formes classiques et identifiées. Aucune n’a pareillement – et fût-ce de façon implicite – fait fond sur l’idée qu’elle présentait essentiellement une énigme. NOTE

——————

NOTE On pourrait parler, à la façon des mystagogues, d’un mysterium tremendum, d’un mystère effrayant, puisque l’objet bande dessinée est reconnu par ses exégètes comme non naturel, comme posant une énigme, voire comme contenant quelque menace contre les catégories littéraires ou contre les outils théoriques. « Il faut dire aujourd’hui que la bande dessinée n’a jamais cessé de déborder du modèle (...) la bande dessinée comme objet de la sémiologie a toujours-déjà été un objet quelque peu déviant », notait déjà l’avant-propos du célèbre numéro 24 de la revue Communications, La Bande dessinée et son discours (1976). Quarante ans après, Kai Mikkonen se propose d’identifier « les types de problèmes que nous rencontrons quand nous employons la théorie du récit dans les études sur la bande dessinée » (The Narratology of Comic Art, Routledge, 2017, p. 2, notre traduction), et l’auteur annonce une révision de la narratologie à la lumière des graphic novels.

La réflexivité théorique peut être lue comme la compensation d’une insécurité culturelle, liée à un statut culturel précaire. Témoigne de cette même insécurité la position fanique, qui incorpore des attitudes de minorité culturelle (défense instinctive, fierté revendiquée, retournement du stigmate). Quant à l’instabilité définitionnelle et statutaire de la littérature dessinée, elle n’a pu être qu’exacerbée par la diversité des attitudes et des attentes des différents publics impliqués. Chez le consommateur, c’est le plaisir pur associé à un produit appartenant à ce qu’on nomme aujourd’hui une industrie culturelle mais qu’on nommait autrefois infra-littérature, light fiction (d’aucun disaient trash), Triviallitteratur. Chez le théoricien – on y revient – c’est l’herméneutique, le chercheur qui se penche sur la bande dessinée se donnant pour but, de façon plus ou moins claire, de façon plus ou moins avouée, d’en percer le secret – puisqu’il y a un secret. Comparons le sémio-structuralisme, informant les premières études savantes dans les années 1970, avec son réductionnisme, le sens étant supposé provenir de la combinaison d’unités élémentaires, et sa croyance en des structures cachées, et le post-modernisme, au tournant du XXIe siècle, avec son obsession de l’intermédialité, censée, par comparaison et par élimination, montrer ce que la bande dessinée posséderait en propre. Ou considérons l’intuition, si prégnante dans la littérature secondaire, d’une analogie structurelle, d’une correspondance, entre le récit dessiné et son sujet. NOTE

——————

NOTE « L’automobile enferme les sujets comme la case de bande dessinée ses personnages, la route devient un analogon transparent du médium. » « Ville et bande dessinée sont deux espace-temps. Il est donc possible de les traduire, en quelque sorte, l’un dans l’autre. » (Citation tirées respectivement de « Plancher sur les Mange-Bitume », Pierre-Gilles Pélissier, Bananas n° 10, 2018, p. 44 ; La Ville en planches, Pascal Robert (dir.), Hermann, 2021, p. 9.)

On peut repérer la même importance donnée à l’herméneutique dans les études monographiques. Les études hergéennes, qui, dans l’aire francophone, occupent une place éminente (d’aucuns diraient : disproportionnée) dans les études d’auteurs, tournent toutes, en dernière analyse, autour d’un mystère, mystère d’un homme et mystère d’une création. Il y aurait, en tout état de cause, un secret caché dans l’œuvre apparemment si transparente, si lisible, de Hergé. Les occultistes ne s’y sont pas trompés, qui nous proposent les versions successives d’un grimoire dont, idéalement, le titre serait Hergé et le secret de Tout, versions déclinées en fonction du savoir ésotérique détenu par les diverses obédiences.

Mythopoeia et matérialité

Face à cette intuition d’une énigme que poserait la littérature dessinée, notre « thèse » est d’une très grande simplicité. On peut l’articuler en deux propositions. Premièrement, le caractère de singularité des littératures dessinées – et l’interrogation qui en découle sur le mystère – s’expliquent selon nous par le fait que ces littératures ne visent pas la représentation naturaliste, mais la création « hétérocosmique », pour emprunter un mot à l’Esthétique de Baumgarten (1750), la création secondaire d’un monde possible. Le dessin et l’appareil (ce que nous appellerons dans la suite le dispositif spatio-iconique) nous donnent à voir un univers hypothétique dans sa compacité et dans sa totalité. En second lieu, l’étrangeté qui est la caractéristique éminente de ces mondes dessinés est déterminée selon nous par les conditions mêmes qui les font naître. Le maître mot est ici celui de matérialité. La matérialité du dessin, la matérialité du dispositif imagier déterminent la physionomie déroutante de l’univers dessiné, et les lois remarquables qui le régissent. Jouent de façon similaire les facteurs techniques et les facteurs éditoriaux intervenant dans la production des récits dessinés.
Matérialité du dessin. Voici quelques caractéristiques du dessin : le dessin procède d’un tracé créateur, les objets prennent forme par leur délinéation, ils présentent un caractère bidimensionnel, ils sont figés dans leur représentation. Non seulement le récit dessiné, mais le type d’univers dans lequel se déroulent des récits dessinés sont informés par ces caractéristiques. Le dessin des récits dessinés doit se lire de façon littérale, non simplement comme un analogon de la réalité figurée. De toutes ces caractéristiques, c’est la présence du trait (qui n’existe pas dans la nature) qui est l’aspect le plus saillant. Töpffer a parfaitement vu cela. En particulier le trait de contour du personnage représente une véritable peau de celui-ci, à peu près comme la membrane d’un protozoaire vu au microscope.
Cette matérialité du dessin amène à redéfinir la fonction de la mimèse. S’il s’agit bien de créer par imitation, il ne s’agit pas d’imiter ce qui existe dans la nature. Cela aussi Töpffer l’avait parfaitement observé. La réalité figurée n’est donc jamais notre réalité. Le dessin crée son propre monde à partir du geste traceur. Le monde dessiné est son propre référent, même si naturellement les figures tracées sont identifiables (Tintin est un jeune homme, Félix le chat est un félin, ce que tient Popeye est une boîte d’épinards, etc.), la règle qui a cours étant que l’univers dessiné doit être suffisamment proche de l’univers naturel pour rester intelligible.
On pourrait dire aussi, d’une autre façon, que la bande dessinée transforme tout en bande dessinée. Un enfant des années 1960 qui lit Michel Vaillant ou Tanguy et Laverdure, s’il n’est pas par ailleurs féru de course ou d’aviation, retrouvera avec surprise dans le monde réel la ligne droite des Hunaudières ou le Lockheed T-33. Et la réaction de l’enfant, si on la met en mots, ne sera pas tant : « Tiens, cela existe vraiment », que : « Tiens cela existe aussi dans le monde réel. » D’où précisément la déception de ce juvénile lecteur devant les adaptations télévisuelles (Les Aventures de Michel Vaillant, 1967, Les Chevaliers du ciel, 1967-1970), puisqu’il sait bien que les personnages de la bande dessinée, eux, n’existent pas simultanément dans le monde réel.
La mimesis procure donc une forme d’expérience, et n’est nullement bornée à sa fonctions d’imitation. C’est évident quand le récit se déroule dans un univers de fantasy ou de science-fiction. Mais encore une fois, le monde du récit dessiné est toujours saillant, même quand ce récit se déroule dans un environnement naturel, puisque ce monde répond toujours aux lois du dessin. Les univers dessinés sont donc toujours le monde « vu par » le dessinateur. C’est ce qui explique la fascination pour la bande dessinée de jeunes enfants qui commencent à lire, qui sont frappés par cette réalité recommencée, comme si la Création du monde était un événement de la semaine écoulée, là où leurs aînés voient seulement un dessin « vulgaire » ou indigent.
Pour exprimer les choses d’une autre façon, le dessin (ainsi du reste que les codes de la bande dessinée) est constamment et immédiatement visible, et c’est de cette évidence que la bande dessinée tire une bonne partie de ses effets. En particulier, replonger dans un récit, ou en prendre un autre du même dessinateur, implique le plaisir de ce retour dans un monde « vu par », la familiarité de la défamiliarisation.
On peut donc poser la loi suivante : la bande dessinée ne nous laisse jamais oublier que nous lisons une bande dessinée (alors que le lecteur d’un roman, qui lit « pour l’histoire », peut oublier au bout d’un moment qu’il suit des mots sur une page). À l’époque du structuralisme triomphant, ce caractère littéral a souvent été abordé au titre de la dénudation du code, mais il y a là un contresens au moins partiel : il ne s’agit pas de dénoncer le caractère artificieux du récit dessiné ou de l’univers fictionnel, mais au contraire d’en établir la solidité et la cohérence, en fonction des lois qui lui sont propres.
Le reproche fait au lecteur (ou au théoricien) d’une lecture « naturaliste », de l’image – via l’infamante « illusion référentielle » des sémiologues – est donc toujours infondé. Et également infondée est la thèse des littératures dessinées comme art « naïf ». Si, selon la belle réflexion de Viktor Chklovski, le but de l’art est la vision, non la reconnaissance, si l’acte de perception est une fin en soi, ce qui est déjà « devenu » n’important pas pour l’art, alors l’image de bande dessinée est éminemment artistique (Théorie de la littérature, textes des formalistes russes, Seuil, « points », 2001, p. 82.)
Matérialité du dispositif spatio-iconique. Nous appelons dispositif spatio-iconique (référant donc à des images réparties dans des espaces) le dispositif vignettal propre aux littératures dessinées, qui dans le cas de ce qu’on appelle conventionnellement bande dessinée présente en général une multiplicité de dessins dans un espace compartimenté NOTE. Relève donc du dispositif la forme éditoriale sous laquelle se présente le récit dessiné (strip, demi-planche, planche, double planche, paraissant par livraison, fascicule, album, etc.) ainsi que les modalités du compartimentage et de l’inscription des textes (exemples : strip avec texte sous l’image, strip usant de bulles).

——————————
NOTE L’exception est le daily panel, livraison humoristique dans la presse américaine qui ne présente quotidiennement qu’une seule case, mais qui est lié in absentia à la série des dessins parus précédemment dans le même support. Autrement dit, le daily panel est un daily strip réduit à une case. (Les daily panels sont souvent complétés le dimanche par une sunday page.)

Le dispositif spatio-iconique est une forme structurante. La segmentation du récit en images représente la véritable « écriture » du récit dessiné, et la quantité d’images et leur organisation détermine cette écriture. La comparaison n’est pas infondée avec la prosodie (par exemple avec l’hexamètre dactylique, ou avec l’alexandrin, ou avec le pentamètre iambique) ou avec la mesure en musique (par exemple une mesure en 4/4 ou en 6/8).
Pourquoi ne pas intégrer le texte dans la description du dispositif, par exemple en parlant de dispositif spatio-icono-textuel ? C’est que la modalité d’inscription textuelle n’est pas de même nature que la segmentation du récit en images, qui encore une fois représente la véritable « écriture » du récit dessiné. On constate ainsi qu’une modalité d’inscription textuelle peut facilement être remplacée par une autre (dans Les Pieds Nickelés de Forton, on peut sans difficulté remplacer le texte sous l’image par des bulles) ou complétée par une autre (certains strips contiennent à la fois un texte composé sous les images et des bulles au-dessus de cette image).
Le dispositif se présente lui aussi dans sa matérialité. Il faut le lire à la fois comme porteur d’un récit et de façon littérale. Ainsi l’espace intericonique peut toujours devenir un véritable mur (ou une véritable porte) dans la fiction. La case peut toujours être une véritable fenêtre dans la fiction. De sorte que la présence matérielle du dispositif – compartimentage de l’espace, cadres internes des bulles et des cartouches des récitatifs, etc. – communique ses caractéristiques aux univers dessinées. Elle aboutit à un monde fragmenté, qui présente des propriétés particulières d’ordre physique (matière, temps, énergie). Même importance de ces caractéristiques matérielles du dispositif sur le plan narratif, la plus éminente étant que le récit est conduit dans le cas général par la répétition du personnage de case en case. Il en découle une centralité du personnage qu’on ne retrouve pas dans les autres formes de fiction. Les récits dessinés sont anthropocentrés. Dès lors, des solutions qui, dans les littératures populaires doivent encore être justifiées par des explications plus ou moins plausibles, par exemple le fait que le héros retombe invariablement sur le traître (Mickey se retrouve toujours face à Pat Hibulaire), font en bande dessinée partie de l’ordre même du monde. On peut généraliser à tout événement, à toute menace, qui, dans le monde fictionnel, implique ipso facto le héros et sans qu’il soit besoin d’en justifier la vraisemblance. On pourrait résumer par la formule que tout ce qui arrive dans les aventures de Superman, de Tintin, etc., arrive à Superman, à Tintin, etc. Ou bien, pour faire image, on pourrait dire que les univers dessinés présentent une structure pyramidale, le personnage focal en occupant l’apex. Une autre conséquence de leur caractère anthropocentré est que les récits dessinés donnent une importance primordiale à l’intériorité du personnage. Ceux qui dénient aux littératures dessinées toute profondeur psychologique n’ont pas remarqué que, parmi toutes les formes de récit, le récit dessiné est celui qui donne au lecteur un accès immédiat à l’intériorité du personnage (les bulles de pensées, les émanations sous forme de gouttelettes, de lignes ondulées, etc., ne sont que les plus apparents des procédés assurant cette transparence du personnage).
Matérialité du support éditorial. Les littératures dessinées diffèrent des littératures écrites par le fait qu’elles sont étroitement attachées à leur support éditorial. Purisme et bibliophilie mis à part, n’importe quelle édition de 1984 de George Orwell permet de prendre connaissance du roman ni plus ni moins que l’édition originale. Mais dans le cas de la bande dessinée, la parution originale (le plus souvent sur un support éphémère) nous est inaccessible et nous ne possédons que des rééditions qui donnent une idée des plus approximatives de ce que devait être la page imprimée. L’entreprise qui se présente ostensiblement comme « l’édition des classiques », avec ses arrières-pensées (canonisation, artification), relève à proprement parler d’une démarche historico-archivistique : il s’agit de mettre à disposition du public cultivé les documents dans le meilleur état possible. Ce faisant, on opère une substitution entre une publication éphémère mais destinée à un très large public et une publication pérenne mais destinée à un petit nombre de lettrés, qui implique une métamorphose de la matière même du récit dessiné. La publication « préoriginale » (puisque l’écrasante majorité des œuvres paraît d’abord en périodique) reste un événement unique, et ceci montre que les récits sont étroitement contraints par les facteurs techniques et éditoriaux, qui ne sont donc pas moins importants que la matérialité du dessin ou que la sémiotique du dispositif.
Au sens strict, les facteurs techniques incluent le type d’impression, le type de papier, le format, le procédé de reproduction de la couleur, etc., les facteurs éditoriaux incluent le public visé, la périodicité, la composition du sommaire, etc. Cette distinction est essentiellement didactique. Ainsi, un type de support (un comic book, un album, la page d’un journal quotidien, un mini-comic tiré à la photocopieuse, etc.) est à la fois un choix technique et un choix éditorial.
On peut ranger aussi dans ces facteurs techniques et éditoriaux tout ce qui relève de l’adaptation, de la modification, du remontage. Ce point est crucial compte tenu de ce que nous avons dit de l’attachement du récit à son support éditorial. On peut poser en principe qu’une nouvelle édition est toujours une refabrication. Des exemples sont la réunion en album de planches prépubliées dans un hebdomadaire pour la jeunesse, la republication dans un comic book d’un newspaper strip, ou d’une planche dominicale, parus préalablement dans la grande presse, la publication dans un petit format français du contenu d’un albo italien. Cette republication passe par un remontage, une sélection du matériel, une intervention sur l’image elle-même (rognage, augmentation, nouvelle mise en couleur, etc). Même dans le cas d’une intervention minimale, celle du passage de la revue de bande dessinée à l’album, on constatera une modification de la maquette et du paratexte, éventuellement une sélection des pages ou des strips, pour mettre le récit au moule de l’album, et la réécriture partielle du récit ou l’excision de points litigieux qui « passent » dans la forme éphémère de l’hebdomadaire, où le récit est débité par planche ou par double planche, mais ne « passent » plus dans la forme pérenne de l’album où le récit se déploie en entier dans toute sa « nocivité », pour parler comme le censeur français. Ainsi, la version en album est toujours plus « enfantine » que la version dans l’hebdomadaire pour la jeunesse. Inversement, lorsqu’il est publié en pocket book et en noir et blanc, le même récit devient un récit pour adulte et la norme éditoriale se déplace avec l’horizon d’attente du lecteur.
De même, il faut poser en principe qu’une traduction n’est jamais une simple traduction. Elle est au minimum une adaptation, et elle relève fréquemment d’une transformation intertextuelle. Ainsi, la traduction des strips américains dans les journaux français (Winnie Winkle The Breadwinner devenu Bicot président de club dans Dimanche Illustré dans les années 1920 ; Bringing Up Father devenu La Famille Illico dans Robinson dans les années 1930) se coulent sur les principes qui prévalaient, au XIXe siècle, dans l’adaptation des romans d’aventures anglais dans l’édition pour la jeunesse française. King Solomon’s Mines (1885) de Rider Haggard devient ainsi chez Hetzel Découverte des mines du roi Salomon (1890) un ouvrage plus proche de l’école de Jules Verne que du roman impérial britannique. C’est ce qui donne aux versions françaises des strips américains publiées avant-guerre (les bandes dessinées « de l’âge d’or ») un charme fragile et désuet parce que l’action se passe dans un univers totalement absurde, qui se présente ostensiblement et constamment comme français, alors qu’il est clairement américain.
Dans la deuxième moitié des années 1950, Line sous-titré : le journal des chics filles, revue sœur de Tintin (éditions du Lombard et Dargaud), qui adapte les bandes de l’hebdomadaire britannique Girl, la revue sœur de Eagle (Hulton Press), fait passer Wendy et Jinx, des élèves de public school pour des pensionnaires au « collège du Manoir », nommées Mad et Gloria. Une élève-infirmière, Susan of St Brides, devient Pascale, « infirmière à l’Aérium de Préfontaine ». Ici encore, on peut penser que la jeune et naïve lectrice française ou belge n’était pas forcément consciente de la britannicité de l’original, mais seulement de son étrangeté, et que cette étrangeté conférait au récit un charme supplémentaire.
Ce phénomène d’infidélité n’est nullement cantonné à la presse enfantine. La presse underground francophone des années 1970 (Actuel en France, Mainmise au Québec), donne des bandes de Robert Crumb des versions tellement éloignées du texte original qu’elles s’apparentent à des détournements situationnistes davantage qu’à des traductions. (Les situationnistes publiaient des tracts qui reproduisaient des cases de bandes dessinées populaires, mais dont les bulles contenaient de la propagande.)
Ainsi, on peut noter qu’une caractéristique des littératures dessinées est leur résilience, qui est celle de la matière même, c’est-à-dire du dessin. Les récits subissent le remontage, le caviardage, la réécriture (et non la simple traduction) sans dommages notables, c’est-à-dire qu’ils conservent l’essentiel de leur intérêt, quitte à prendre des coloris étranges du fait des absurdités introduites (par exemple le gouachage des armes à feu dans les westerns tirés des strisce italiennes où les personnage se menacent de bras tendus et de mains vides en proférant des grossièretés). Pareille résilience est inconnue dans le cas des littératures écrites. Pour reprendre l’exemple cité plus haut, Découverte des mines du roi Salomon, version Hetzel et « julevernisée » du roman de Haggard, est un fort méchant roman, qui ne conserve à peu près rien de ce qui fait l’intérêt de King Solomon’s Mines.

Forme et intention

Le récit dessiné, avons-nous dit, est conçu en fonction d’un dispositif vignettal, qui inclut une forme éditoriale et la modalité d’organisation interne de celle-ci. Cette forme éditoriale, ce peut-être, au XIXe siècle, une unique feuille d’images compartimentée, ou une page dans une revue pour la jeunesse, ou un album à l’italienne, au XXe siècle, un strip publié quotidiennement dans un journal, ou bien les deux pages dévolues à une série dans un hebdomadaire de bandes dessinées, les dix-neuf planches d’un comic book de la Marvel, un récit publié directement en album, etc. Case, strip, planche, épisode, album, etc. sont donc des formes symboliques qui articulent la création du récit à des contraintes structurelles. Ces formes sont pleines, c’est-à-dire qu’elles confèrent leur structure au récit (et au-delà à l’univers fictionnel). On pourrait dire que l’idée du récit est reçue à travers ces formes. Mais pragmatiquement le récit est le point de départ et c’est au cours de son élaboration que se dégagent les contraintes structurelles, ces contraintes se révélant précisément comme la façon dont ce récit se déploie. Le récit apparaît à travers la forme ; mais la forme apparaît à travers le récit. Telle est la tension qui pèse sur tout récit dessiné. La critique issue du sémio-structuralisme a pour ainsi dire aplati cet aspect fondamental sous la métaphore d’une transposition du récit à sa fabrique, ce qui aboutit à la notion d’un récit qui est le récit de sa propre genèse, idée chère à Ricardou, ou sous la métaphore d’une transposition du récit à sa mécanique, ce qui aboutit à la théorie selon laquelle le récit est, d’une façon quelconque, la mise en œuvre de son propre fonctionnement. Cette dernière idée est si prégnante dans la littérature secondaire qu’elle en constitue aujourd’hui une figure de style presque obligatoire.
Nous restons partisan de l’idée aujourd’hui unfashionable du génie d’un médium (au sens où l’on parle du génie d’une langue). Il faut considérer ce génie d’un médium sous l’angle d’une adéquation entre les formes d’une part et l’intention créatrice d’autre part. La raison de l’emploi d’une forme d’expression donnée (en l’occurrence, le choix du récit dessiné) est qu’elle permet de dire des choses qui ne peuvent être dites d’aucune autre manière. Contentons-nous à cet endroit d’un exemple. Charles Schulz, créateur des Peanuts, pour l’agence United Feature Syndicate, en 1950, note dans des entretiens qu’il a fait le choix de ne jamais montrer les adultes dans son strip (on aperçoit dans les débuts quelques silhouettes, vite supprimées). Le « sens » produit par ce choix, c’est précisément la physionomie de l’œuvre elle-même. Il n’y a pas de contenu sémantique préalable, que Schulz aurait codé par la convention « ne jamais montrer les adultes ». La conception populaire ou petite-bourgeoise de l’entreprise littéraire comme fondamentalement mystificatrice, car cherchant à dissimuler un sens dans une forme est donc sans pertinence ici.
Peut-être nous est-il permis d’introduire nous-même une métaphore. Un dormeur fait parfois l’expérience déconcertante d’un rêve qui porte sur le rêve lui-même, c’est-à-dire que le rêve enlève le dormeur à l’aide d’un appareil qui est précisément le rêve. C’est un peu de cette façon qu’opèrent les littératures dessinées, l’appareil étant précisément le dispositif spatio-iconique et, au-delà, la forme éditoriale.

Mimesis et mythe

« Told in pictures » clament les équivalents anglais des bandes dessinées de « petit format ». De fait, dans ces fascicules agrafés, les romans de 64 pages en double colonne composés dans un caractère minuscule le cèdent après-guerre à des récits en bande dessinée. Il ne fait pas de doute que ce changement de médium (mais non de support) apparut à ses jeunes lecteurs, narrativement parlant, comme le summum de la modernité. Les parents et les enseignants britanniques manifestèrent vraisemblablement plus de scepticisme.
La nature mimétique de l’image s’étend de l’objet à l’action et l’image est par conséquent narrative au sens où elle incorpore une temporalité et un contenu événementiel. Nous poserons donc que la narrativité est immanente à l’image, nonobstant le fait que ce caractère narratif de l’image ait été très fortement contesté. Ce caractère mimétique, relativement au contenu iconique et relativement à l’action, est déterminant pour la théorie du récit dessiné. Il engage en particulier les aspects narratologiques ainsi que le statut ontologique du monde fictionnel.
Le caractère mimétique de la temporalité est également un point crucial (et fort débattu). Il y a dans les littératures dessinées représentation de la temporalité (mimesis), mais non pas reproduction de la temporalité : il n’y a pas d’écoulement temporel comme au cinéma ou dans les arts scéniques. Le dispositif spatio-iconique utilisé par chaque dessinateur peut être envisagé précisément comme une machine à observer le temps, pour laquelle nous avons proposé le nom de chronoscope.
La possibilité même d’un récit mimétique qui n’est cependant pas un récit dramatique (l’action n’est pas jouée par des acteurs ; et encore une fois, il n’y a pas d’écoulement temporel) a posé des problèmes épineux aux théoriciens. C’est peut-être pourquoi la théorie a longtemps prévalu que le récit dessiné fonctionnait à partir des relations entre les deux codes, textuel et imagier. Mais comme cette coprésence du texte et de l’image est le fait d’une partie importante de l’univers de l’imprimé, il fallut chercher du coup de quelle façon la bande dessinée assurait cette éminence de l’image (puisque nul ne contestait précisément que le récit était « told in pictures »), d’où des définitions aberrantes : il fallait que l’histoire se comprenne, au moins pour l’essentiel, par l’image seule. Mais d’autres proposaient des définitions exactement inverses : il fallait que l’histoire devienne incompréhensible si l’on ôtait le texte, ou si l’on ôtait l’image, citation de Töpffer à l’appui (« Les dessins, sans ce texte, n’auraient qu’une signification obscure ; le texte, sans les dessins, ne signifierait rien. »).
Une génération plus récente de chercheurs postule un narrateur imagier ou monstrateur, parfois à un narrateur graphique ou graphiateur, qui serait en charge du récit dessiné. Mais comme nous le verrons, l’image, du fait même de son caractère mimétique, est un donné, elle n’appelle l’intercession d’aucune instance narratrice (elle a par contre un auteur, ce qui est une toute autre question). La mimesis conduit donc à une narratologie sans narrateur, point qui est de la plus haute importance, parce que cela implique que le monde qui nous est présenté est présenté d’une façon directe, désintermédiée.
Récit mimétique (et non narration d’une action comme le texte romanesque), substitut d’un monde (et non figuration d’une réalité préexistante) pointent une activité créative pas si éloignée des jeux d’enfants (la proximité des littératures dessinées avec l’enfance a trop souvent été notée pour que nous y insistions) : Mimesis as make-believe, pour reprendre le titre d’un livre sur les mondes fictionnels dans l’art (Kendall L. Walton, Mimesis as Make-Believe : on the Foundation of Representational Arts, Cambridge, Harvard University Press, 1990.)
Les univers dessinés présentent donc une structure particulière. Cette singularité est précisément ce que nous désignons comme « le mythe ». Et comme ce sont les contraintes structurelles du médium qui donnent aux univers dessinés leur physionomie particulière, ces contraintes sont donc mythopoétiques, créatrices de mythe. La mythopoeia désigne cette création même. NOTE Ce sont les premiers exégètes francophones qui ont raison ici. Dans la foulée de Francis Lacassin, ils relèvent l’analogie structurelle de la bande dessinée avec le mythe et le potentiel mythogène de la forme du récit dessiné. Il convient de signaler ici un remarquable ouvrage, passé totalement inaperçu à son époque, William MacLean, Contribution à l'étude de l'iconographie populaire de l'érotisme, Maisonneuve et Larose, 1970. L’auteur établit précisément la structure du mythe à partir du matériau iconique des bandes dessinées érotiques, en particulier des fumetti neri.

——————————

NOTE Le mot de mythopoeia, à cause de l’association à J. R. R. Tolkien et à son cercle, risque d’introduire une regrettable confusion. La mythopoeia n’est nullement liée selon nous à la création d’un univers « complet », incluant la description de sa faune et de sa flore, l’histoire détaillée des peuples imaginaires qui l’habitent, la description de leurs us et coutumes voire de leurs langues. La mythopoeia ne relève pas davantage de récits « archétypes », pas plus que de l’invention d’un « panthéon » de « divinités ». Comme on le verra, les univers dessinés sont non seulement « incomplets » mais flagramment absurdes, et ne peuvent exister hors du récit imagier. Les schémas narratifs sont ceux du récit aventureux teinté de merveilleux, et de la satire. Les aborigènes des littératures dessinées sont des personnages de gosses, des animaux anthropomorphes, des héros costumés. Les panthéons de dieux intracosmiques (par exemple chez Jack Kirby) sont l'exception et non la règle.

Cependant cette structure singulière n’est nullement détachée du récit. Elle ne représente pas une série de règles appartenant à une deep structure du récit dessiné, pas plus qu’elle ne réfère à un monde fictionnel envisagé indépendamment, par-delà, ou par-dessus le récit dessiné. Les univers dessinés sont des univers de plein droit, mais ce sont aussi des univers absurdes, possibles seulement dans le cadre des récits dessinés inscrits dans le dispositif spatio-iconique. Ni infra ni supra-narrative, la structure mythique est précisément la structure du contenu diégétique.
Ceci amène naturellement une question. Comment définir la qualité mythique ? Une approche intuitive nous est fournie par les mythes de genèse (des dieux, du monde, etc.). Ces récits ne sont pas historiques, mais cela ne signifie pas qu’ils sont sans portée. En effet, l’Histoire se concentre sur les faits, mais fait l’impasse sur l’essence de ces faits. Le mythe donne au contraire l’essence, sans les faits. Les deux se complètent par conséquent. Et sur le plan phénoménologique, le mythe apparaît plus « vrai » que l’Histoire. Dans les Marvel Comics, les récits de l’acquisition par les personnages de leurs super-pouvoirs frappent tout lecteur ayant perdu la candeur de l’enfance par leur évidente absurdité. Rayons cosmiques (les Fantastic Four), piqûre d’araignée radioactive (Spider-Man), sont des explications qui n’expliquent rien. Le super-traître Electro s’électrocute deux fois simultanément et les deux décharges s’annulent, de sorte qu’il n’est pas tué mais devient une pile électrique vivante. L’explication de la façon dont Matt Murdock perd la vue tout en acquérant les pouvoir qui feront de lui Daredevil est carrément incohérente. En sauvant un vieil homme aveugle qui va être écrasé par un camion, Matt reçoit en pleine figure un « cylindre radioactif », dont on se demande d’où il s’est détaché, qui le prive de la vue, on ne sait comment, mais développe tous ses autres sens ainsi que sa force physique. Cependant ces récits possèdent indiscutablement la qualité mythique, à telle enseigne qu’ils se prêtent à de continuelles réitérations et de continuelles réinterprétations. Et ce qui est arbitraire ou incohérent sur le plan événementiel semble obéir à d’autres lois. Rayons cosmiques, radio-activité, électricité sont, sous un déguisement scientifique, des manifestations d’une force invisible proche du mana des ethnologues. Matt Murdock devient aveugle parce qu’il sauve un aveugle, par application d’un principe occulte de sympathie, de contagiosité, qui remplace la causalité. On voit donc que le récit dessiné, par la logique propre qui est la sienne, possède une singulière aptitude à produire des contenu qui structurellement relèvent du mythe.
En résumé, Les littératures dessinées créent leur monde avec ses lois propres, et imbu d’une qualité mythique. Ce qu’elles ont à nous dire, elles le métamorphosent en fonction de ces lois. Dès lors l’investigation, pour laquelle on peut garder le nom amusant de stripologie, inventé par Pierre Fresnault, en le qualifiant (stripologie mythopoétique), doit se fixer comme finalité la connaissance des récits dessinés eux-mêmes, et non de leurs sources, ni d’aucun autre élément périphérique, par exemple ce que ces récits révéleraient de l’imaginaire de leurs société. Les bandes dessinées ne transposent pas un « mythe » qui leur serait préalable (lorsqu’elles reprennent un motif mythique des littératures écrites, elles le transforment radicalement, comme nous le verrons), pas plus qu’elles ne reflètent « leur temps ». En termes scientifiques, on posera que la stripologie est une science autotélique, autrement dit qu’elle est elle-même sa propre fin. De plus, le mythe que nous mettons en lumière n’est pas la traduction de quelque chose qui différerait de lui-même. En termes scientifiques, on posera que l’analyse que nous faisons du mythe dans les littératures dessinées est tautégorique.

Réflexions sur un corpus

La question du corpus est des plus épineuses. Le choix des œuvres étudiées détermine évidemment les conclusions. Or nos conclusions ont vocation à s’appliquer en théorie à l’ensemble des littératures dessinées.
Nous ne croyons guère à la thèse de la contribution décisive (exemple : l’« invention » de la bande dessinée par telle série ou par tel auteur), ni aux effets providentiels (exemple : l’heureux effet des campagnes xénophobes contre les bandes étrangères qui, en faisant place nette, ont permis l’émergence des écoles nationales), ni à l’évolution cruciale (exemple : le  « passage de la bande dessinée à l’âge adulte ») ; ni au facteur déterminant, qu’il soit d’ordre sémiotique (exemple : la bulle remplaçant le texte sous l’image aurait constitué une révolution analogue à celle du cinéma « parlant »), ou d’ordre éditorial (exemple : l'introduction du personnage récurrent, avec le Yellow Kid, en 1895 aurait établi la bande dessinée comme forme éditoriale distincte ; autre exemple : l'introduction du feuilleton avec A. Piker Clerk, en 1903 aurait établi la bande dessinée comme « genre »).
Toutes ces figures (et bien d’autres) traitent l’histoire comme un forme symbolique à visée téléologique, qui articule les événements dans une continuité et qui vise à justifier le présent comme nécessaire (ce qui est évidemment une illusion rétrospective) ; et – ce qui est plus gênant encore – elles traitent l’histoire comme un forme symbolique à visée eschatologique, puisqu’il s’agit d’annoncer la transfiguration de littératures dessinées qui libéreraient enfin leur potentiel. (Les historiens populaires des récits dessinés ont tendance à céder ensemble à ces deux illusions.)
Cependant la renonciation à ces simplifications généreuses, de la contribution décisive, de l’évolution cruciale, etc. ne fait que générer un autre ordre d’inquiétude. La lecture d’un ouvrage savant basé sur un corpus quelconque – ou la lecture des actes d’un colloque, où chaque intervenant choisit discrétionnairement un sujet d’étude –  procure toujours chez le spécialiste une impression trouble, mélange de culpabilité (ne devrait-il pas lui-même « posséder » à fond le corpus en question, n’a-t-il pas négligé l’importance de tel auteur, de telle œuvre ?) et de doute (à quel degré les observations basées sur un pareil corpus sont-elles extrapolables ?)
Nous souhaitons nous inscrire en quelque sorte à mi-chemin du choix de l’histoire globale et de l’étude monographique. On ne peut par définition étudier en détail que telle production de tel auteur, dans tel contexte. Il arrive que cette étude révèle beaucoup sur les paramètres qui pèsent sur la création des récits dessinés, et sur leur évolution. On trouve en quelque sorte, dans l’approche historico-monographique, des éléments cardinaux, qui permettent de préciser les propriétés générales des récits dessinés. Ces éléments cardinaux ont souvent été assimilés dans la littérature secondaire à l’une des simplifications généreuses précitées. Exemples : l’invention de la bande dessinée par Töpffer dans le premier tiers du XIXe siècle ; l’introduction cruciale de la bulle dans la bande dessinée d’expression française dans le Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan (1924) ; l’invention de la bande dessinée d’aventures par Harold Foster avec Tarzan (1929) ; l’invention des super-héros avec le Superman de Joe Shuster et Jerry Siegel (1938), et le Batman de Bob Kane (1939) ; le passage de la bande dessinée à l’âge adulte (ou l’introduction de l’érotisme dans la bande dessinée) avec la Barbarella de Jean-Claude Forest (1962). Des appréciations historico-monographiques plus réalistes seraient respectivement : l’invention par Töpffer d’une forme bouffonne de progress hogarthien, de carrière comique d’un personnage, procédant de la vertu créatrice du tracé et du détournement ironique de l’appareil de la gravure et de sa légende ; l’adaptation par Alain Saint-Ogan pour la presse dominicale française du dispositif spatio-iconique de la sunday page américaine ; l’introduction par Hal Foster du style de l’illustration réaliste dans le newspaper strip d’aventures ; l’adaptation par Jerry Siegel et Joe Shuster, et presque simultanément par Bob Kane et par Bill Finger, des codes des pulp magazines dans les comic books ; l’injection par Jean-Claude Forest des héroïnes des bandes à textes sous l’image de la presse quotidienne, adaptées de romans populaires à grands sentiments, dans un récit dessiné de science-fiction où la sexualité humaine est mentionnée (quoique jamais directement représentée). La fortune critique des simplifications généreuses est variable. Au début du XXIe siècle, les super-héros connaissent une grande popularité du fait que ces personnages constituent une manne financière pour les studios de cinéma, et connaissent un succès non moindre les affirmations impossibles à étayer qu’on multiplie à leurs propos. Inversement, le pauvre Tarzan paraît ne plus intéresser grand monde, et il n’est pas assuré qu’on lui permette de continuer à mener une existence paisible dans le contexte de persécution politique et morale du temps (mais l’homme-singe a l’habitude, en particulier dans sa version en bande dessinée).
La bande dessinée du XIXe siècle serait née sans Töpffer, le strip « réaliste » serait apparu sans l’adaptation de Tarzan of the Apes par Harold Foster en 1929, la bande dessinée de l’espace culturel francophone aurait intégré la dimension de la sexualité humaine quelque part dans la deuxième moitié du XXe siècle sans Jean-Claude Forest et sa Barbarella. L’étude détaillée de ces sujets répond moins à la question du « pourquoi », sur laquelle nous avouons notre incompétence, qu’à la question du « comment ».
.