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Livres lus, livres oubliés, livres imaginaires

Jugendstil

Andreas Tarzian

éditions Casternac

 

Ce nouvel album de la série des Orchid de Saint-Faysande plaira à ses amateurs. Comme dans La nuit des Lys blancs et dans L'Héritier de Saint-Faysande, l'ambiance est rétro et l'auteur ne nous laisse rien ignorer des décadences, des évanescences et des dégénerescences de la Belle-Epoque. Défilent cocottes cadavériques, demi-mondaines phtisiques, journalistes symbolistes, grands consommateurs d'absinthe, poètes poitrinaires, monstres-sacrés unijambistes, capitaines au long cours opiomanes et invertis, assyriologues spirites et astronomes buveurs d'éther.

Tout le monde est dessiné pointu et, pour le vêtement, la mode est à la noircissure, répandue à pinceau débridé sur les gilets et les fracs des hommes, les robes "Modern Style", longues et vastes et sans taille, des femmes.

Paris n'est composé que de bibliothèques Sainte-Geneviève et de pavillons de banlieue. Tous les fiacres s'arrêtent devant les verrières du Jardin des Plantes. Tous les papiers peints sont rayés, tous les corridors sont déserts et débouchent sur des cimetières enclos de grilles en fer forgé et parsemés de statues allégoriques, en une esthétique du Père-Lachaise.

Il y passablement de temps que le soleil ne se lève plus mais il fait, sous la lune, un beau temps à ne pas croire. C'est un temps abrité, comme une enfance, et pourtant on sent quelque chose qui déborde des syphons d'eau de Seltz, des brocs de faïence, des cuvettes émaillées et des latrines, et qui est déjà la boue et la pestilence des tranchées de Verdun.

Il se dégage de ces pages l'odeur fraîche et surette, au coeur d'un bel été, de pissotières ombreuses et bien tenues.

 

La sagesse secrète du continent englouti

par James Churchmouse

Collection Nouvel Age/L'Avenir des Anciens

 

L'auteur attend-il réellement de son lecteur qu'il accorde foi à son histoire de moine boudhiste gardant dans un coffre de santal des tables de pierre gravées par une humanité antérieure? Il est permis d'en douter. Le colonel de l'armée des Indes Churchmouse (qui, apparemment, n'est pas plus colonel que colonial, ni même qu'anglais) ne manifeste d'un bout à l'autre de son histoire qu'un souci superficiel de la cohérence et de la simple vraisemblance.

Ainsi, le grand-prêtre boudhiste, le lundi, apparaît mi-ennuyé, mi-blasé, et se souvient à peine où il a rangé le fameux coffre. Quel contraste avec le mardi, où il insiste sur la science millénaire à laquelle il est, lui, parfaitement initié, et l'importance de ne pas l'ébruiter. Cependant, le mercredi, il ne lit plus que péniblement l'écriture des fameuses tablettes - dont il offre impulsivement le copyright au pseudo-colonel Churchmouse!

Tout cela ressemble à une tentative brouillonne destinée à estampiller du poinçon de l'authenticité une ample ressucée de madame Blavatsky, provenue non de la traduction de mystérieux textes secrets mais de la lecture d'une bibliothèque occultiste.

Dans cette pâtée à base de civilisations disparues (l'auteur les fait invariablement remonter au miocène), on relèvera particulièrement une géologie fantaisiste. La grande trouvaille de Churchmouse, c'est, selon le mot de M. Hirtz, la planète péteuse. Par une confusion fréquente chez les non-géologues, Churchmouse croit les tremblements de terre causés par des éruptions volcaniques imminentes (et vice-versa) d'où il tire que le mystérieux continent s'est abîmé dans les flots à cause d'un surcroit de flatulences de notre globe.

Un autre dada de churchmouse est la haine des montagnes. Churchmouse ne souffre pas de montagne dans son Eden, (c'est à dire sur le mystérieux continent dont il a tracé les contours au milieu du Pacifique, à main levée, sans justifier le moindrement le sinuement de ses côtes) et les autres terres, selon lui, n'en comportaient pas davantage. Les montagnes ne sont nées qu'après la chute du mystérieux continent à cause des convulsions, éruptions, ruptions, irruptions de la mer et autres mouvements inévitables dans une planète qui a des gaz.

Sur le mystérieux continent comme sur les autres, pas de montagne aux temps fortunés, mais de douces collines, et rondes, et molles. Un psychanalyste aurait beaucoup à dire sur la particulière détestation de notre auteur à l'endroit des montagnes, et sur les gaz, et aussi sur la mollesse des collines.

La lecture de Churchmouse n'est même pas amusante. Des déclarations tonitruantes sur l'importance de sa découverte et l'assurance emphatique que le continent disparu fut la mère-patrie de l'homme, la source pure de toute religion et le véritable commencement des tatous, entrecoupent un exposé incohérent des fameuses doctrines secrètes, et une énumération sans ordre ni méthode de "preuves", c'est à dire de "symboles" glanés sur des monuments appartenant à toutes les époques et toutes les civilisations.

Churchmouse voit des symboles partout et les interprète selon le système infaillible d'un enfant pré-scolaire (le bâton symbolise l'homme, alors que le cercle symbolise le créateur...). Dans le nom égyptien du livre des morts, Pr m hrw ["arrivant de jour"] le m n'est pas la préposition que l'on croit, mais le chiffre et le glyphe du continent mystérieux. Pr m hrw signifie donc, selon l'auteur: "Le continent originel a disparu un jour". Grammaticalement, cette lecture n'a aucun sens. Mais Churchmouse ignore les hiéroglyphes, même s'il aimerait faire croire le contraire. (Notre auteur avoue sur ce point être en désaccord avec les égyptologues.) En fait, l'idée ne lui vient pas que l'égyptien puisse comporter une syntaxe. Et la preuve qu'il a raison... c'est que sa lecture confirme ce qu'il écrivait plus haut!

En appliquant le même système, "selon" dans "l'Evangile selon saint Jean", n'est autre que le nom crypté de Ceylan, où, comme on sait, le Christ a étudié, dans son jeune temps, les textes mystérieux des Grands Anciens. Littéralement, "l'Evangile Selon Saint Jean" signifie donc: "A Ceylan, Jean [c'est à dire le Christ] fut évangélisé (c'est à dire instruit)." Ce qui, on le voit, prouve à la fois que le Christ a été initié à Ceylan et que "selon" n'est pas une préposition.

Enoncé froidement, le fin fond de la connaissance occulte, au lecteur moyen ne fera ni chaud ni froid. Les septièmes hommes, qui vivaient vers la fin du mésozoïque, avaient neuf pieds de haut, étaient uniformément bleus et habitaient des cités de cristal. L'usage de la roue était inconnu, mais on se déplaçait sur les ondes Mayax, parentes des ondes hertziennes. Nos octaïeux ouvraient trois yeux sur les forêts de l'oligocène. Ce sont eux qui ont émigré sur la lune à cause des oscillations fâcheuses qu'imprima à la terre l'irruption d'une planète balladeuse dans le système solaire. Les séléniens plantent leurs jardins en scabieuses et une partie d'eux s'en fut sur Mars où il faisait moins chaud, quand des océans de pétrole en feu se déversèrent sur la lune, après la collision avec une comète pétrolifère.

On pourrait continuer longtemps de la sorte, sans risque d'intéresser le lecteur.

Mais il est des noms magiques. Ecrivez Atlantide, Lémurie, Thulée, et vous emporterez vos lecteurs sur les ailes de l'imagination.

C'est une leçon pour tous les fantasques, les folichons et les saugrenus.

 

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