Vieille bande dessinée - Section newspaper strips

VISITE AU 13 RUE DE L'ESPOIR

guidée par Manuel Hirtz et Harry Morgan


13 rue de l'espoir fut certainement le strip sentimental français le plus célèbre des années 60. Publié de 1959 à 1972 dans le quotidien France-Soir, il s'est imposé naturellement à des lecteurs qui avaient été initiés aux plaisirs du soap opera avec The heart of Juliet Jones (Juliette de mon coeur) de Stan Drake.

La série de Gillon et des frères Gall ne pouvait décevoir: outre qu'elle est objectivement supérieure à celle de Stan Drake, elle a le mérite de parler à ses lecteurs de leur vie quotidienne.

Le centre de la série, c'est Françoise. Elle cherche du travail (avec la Lili des Beaux albums de la jeunesse joyeuse, elle est bien la seule dans la BD française!), mais surtout elle cherche l'homme qui saura la rendre heureuse. Mais voilà! quand ils ne la trompent pas en flirtant avec d'autres jeunes filles, ses amoureux se révèlent superficiels, vélléitaires, pusillanimes, acrimonieux et, pour tout dire, décevants. La série peut donc aussi se lire comme un cours sur les mille et unes façons de déplaire à une jeune fille.

Françoise a une mentalité de Saint-Bernard et une étonnante aptitude à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Ce ne sont donc pas les occasions qui lui manquent de verser quelques larmes. Jolie et sensible, elle a tout pour que le lecteur moyen tombe amoureux d'elle.

Les autres habitants du 13 rue de l'espoir ce sont: le père de Françoise, incarnation des vertus du petit artisan français, Solange la mal-mariée pleurnicharde, et Roger, son ringard de mari, la concierge sympathique et son petit fils Bibi, gamin que ses rapports privilégiés avec Françoise rendent peu sympathique au lecteur.

Tous ces personnages se sont modifiés avec le temps et, lu en continu, 13 rue de l'espoir ne manque ni d'invraisemblances psychologiques ni même d'incohérences dans le récit. Exemple: le père de Françoise que son accident a rendu presque infirme se remet au travail dès sa sortie de l'hôpital (le bon air de la rue de l'espoir, certes, mais tout de même...).

Il est vrai que dans le domaine des strips les auteurs jouent fréquemment sur le fait que le lecteur oublie au fur et à mesure les intrigues qui lui sont contées, pour ne conserver que le "caractère" des personnages.

 

Pas sur la photo

 

On s'accorde généralement à voir dans 13 rue de l'espoir la chronique d'une époque et en effet les scénaristes nous font assister à l'émergence de la télévision, de la nouvelle vague, des blousons noirs, du mouvement yéyé, de la mystique hindoue et du club méditerranée. Dessinateur de grand talent, Paul Gillon, quant à lui, restitue au jour le jour les décors, les costumes et les objets du temps avec une méticulosité d'ethnologue ou d'accessoiriste. Que l'on regarde seulement les appareils photographiques qui parsèment le strip; professionnels ou non, ce sont toujours les modèles les plus utilisés au moment où Gillon les dessine.

Une chose est pourtant totalement absente de la série: la vie politique. Sur les 4139 bandes quotidiennes de 13 rue de l'espoir, pas même une allusion au général (De Gaulle). quant aux événements de mai (68), ils ne seront jamais évoqués.

On a à la lecture l'impression que chacun des scénaristes a "ses idées" sur les multiples changements que connaît alors la société française.

L'un serait plutôt réactionnaire, l'autre plutôt progressiste, ce qui donne souvent des conclusions batardes ou même parfois des épisodes se terminant en eau de boudin. Ainsi de l'épisode où Françoise décide de travailler dans un centre de rééducation pour jeunes délinquants.

Autre exemple: les communautés hippies sont présentées dans un premier temps comme des congrégations de dangereux malades mentaux et quelques épisodes plus loin comme des groupes d'excentriques plutôt sympathiques.

 

La troisième voix

 

Une remarque s'impose: hippies et autres personnages marginaux ou déclassés sont toujours dessinés par Gillon avec générosité et humour. Troisième voix de la série, le dessinateur est sûrement le plus "à gauche" de l'équipe.

Quand les auteurs sont fatigués de l'actualité, ils puisent dans le vieux fond de la littérature populaire, pour des épisodes qui pourraient s'intituler "la course au trésor", "intrigue au cirque" ou "Françoise et le château hanté" (mais qui ne s'intitulent pas. On passe insensiblement d'une histoire à l'autre dans la bonne tradition du strip). Autant de variations sur des thèmes qui ont fait leurs preuves.

Enfin, les auteurs se permettent à l'occasion de petites dérives, des apartés où ils font du pittoresque pour le pittoresque. C'est souvent réussi, comme la scène où Françoise, pendant une croisière, sympathise avec une passagère clandestine.

Si la nouveauté est appréhendée avec suspicion, les milieux de la haute société sont décrits avec un mélange de fascination et de répulsion, avant d'être condamnés pour cause de superficialité ou d'absence de morale. Françoise retourne toujours rue de l'espoir.

En définitive, comme les feuilletons télévisés de l'époque, façon Janick Aimé, ou Vive la vie, 13 rue de l'espoir est une ode à la classe moyenne. Cela tombe bien, ce sont justement les lecteurs de France-Soir.

La morale de la série apparaîtra clairement à tout lecteur un peu attentif. Elle est donnée par la vieille marquise vénitienne. Le seul vrai malheur, c'est la solitude.

 

Bob Flash


 

L'auberge du treizième bonheur

ou

Deux ou trois choses que je sais de Françoise

 

Artiste et modèle

Juliette de mon coeur (the heart of Juliet Jones)

 

Messieurs Gall (13 rue de l'espoir) ont à l'évidence emprunté à monsieur Caplin (The Heart of Juliet Jones) la situation initiale: jeune(s) fille(s) et vieux papa. Hâtons-nous de dire que la copie surpasse le modèle. Françoise possède à elle seule la vertu de Juliette et le pep d'Eve. Le vieux Morel, ébéniste humaniste, remplace avantageusement l'espèce de crapaud qu'est papa Jones.

Différence essentielle: Juliet Jones est un strip avarié. 13 rue de l'espoir pète de santé. Il y a dans Juliet Jones un côté morbidement vieille fille. Françoise est au contraire une éternelle jeune fille. Juliette est séduite par de vieux beaux, dont la tête de marchand de tapis emblématise le latin lover. Phrase clef: "vous pouvez encore aimer, il n'est pas trop tard." ou "vous aussi vous avez droit à l'amour."

Le plus beau dans 13 rue de l'espoir est la visite du strip adverse. Françoise en Amérique. Toutes les Américaines sont rancies. Tous les Américains sont faibles.

 

Bulles de pensée

 

Ram le mystique a la particularité de répondre à vos thought balloons (bulles de pensée). Il lit en vous comme dans une bande dessinée.

chez Alain, malade de culpabilité, les bulles de pensée n'indiquent pas des arrières pensées mais des remords. Bulles de pensée qui pensent toutes seules.

 

Commencement

 

Les premières bandes de 13 rue de l'espoir sont maladroites. On devine dans la convention de l'intrigue, dans la pauvreté des textes, la patte de la donzelle qui signe la préface de la réédition chez Futuropolis et qui devait jouer les productrices exécutives. Scénaristes et dessinateur sont à l'étroit dans leurs cases, peu familiers encore de leur univers. Ils s'imaginent que Françoise est une sorte d'orpheline, ou bien que papa Morel est une dupe, rôle qui sera par la suite dévolu à ce crétin de Robert.

Plusieurs fois, il nous semble que le hasard, revendiqué par leurs auteurs comme principe moteur de la fiction, intervient effectivement et que les personnages surprennent les scénaristes. C'est après tout une tendance logique du daily strip, du fait de l'extrême étirement de la parution et donc de l'écriture. Etait-il prévu dès l'origine que le docteur Castrie, si sympathique, serait un (choke) avorteur?

 

"Et dire que je l'aime vraiment"

ou

Françoise Morel prend-elle la pillule?

 

Les Gall éprouvent une vraie difficulté à traiter la révolution sexuelle. Pourtant, Françoise doit se faire séduire puisqu'elle paraît dans un soap opera. Les scénaristes adoptent un curieux parti pris du dévergondage. Les hommes ne pelotent, ne tripotent et n'embrassent jamais que par caprice. Françoise se laisse faire parce qu'elle n'est pas bégueule. Phrase de secours: "Etrange ambiance je ne sais plus ou j'en suis."

Le flirt en vient donc à signifier l'insincérité, et ces messieurs, par conséquent, aiment Françoise en dépit de leurs tentatives de séduction. Phrase type des embrasseurs: "Et dire que je l'aime vraiment."

De toutes façons, Françoise gardera sa vertu.

Les moeurs évoluant comme on sait, les auteurs sont obligés de lever l'ambiguité dans les dernières années du strip. Nous apprenons ainsi que Françoise ne se donne "pas complètement."

Ce qui nous vaut cette réflexion de Robert Boulais (ce crétin): "Elle a eu raison d'avoir été difficile, elle va épouser un battant."

Françoise, difficile: un comble!

 

Fiancés

(Comment d'en débarrasser)

 

Il est clair que si un amoureux transi arrive jusqu'aux fiançailles, c'est la fin du strip. Il faut donc toujours s'en débarrasser avant. A chaque type d'homme sa porte de sortie, hono-rable ou non. Voici une typologie sommaire du fiancé de la rue de l'espoir:

-L'oublieux. Une femme ne s'éprend pas d'un homme, (sauf si elle est une affreuse "mangeuse d'hommes"). Elle se laisse séduire ou non. Exemple de phrase: "Tant qu'il l'aura pas embrassée, elle pourra pas tomber amoureuse."Exeunt donc tous les petits jeunes gens distraits qui n'ont pas eu la présence d'esprit de dire à Françoise qu'ils l'aiment.

-L'échec. Clôt une histoire un peu longuette (Voir la section opinions): "je le prenais pour un garçon sérieux, et dire que ce n'était qu'un velléitaire."

-L'éclipse. Voyage à Katmandou, aveu qu'il n'a jamais été question de mariage, tout est bon pour faire disparaître ces ombres qui reviennent pourtant comme les hirondelles quand les scénaristes s'avisent que Françoise est "seule." A ne pas confondre avec l'utilité.

-L'utilité. C'est Françoise qui joue les utilités. Un gros ponte de S.O.S. Coeur, un psychiatre abusif ou un éducateurs à qui le chantage ne répugne pas, la chargent de remonter un pauvre type. "Il sort de prison, vous devez vous occuper de lui." "Vous ressemblez à sa femme morte, vous êtes obligée de vous occuper de lui."Affaire en général vite expédiées.

-Le sérieux. C'est le cas le plus difficile. Il est insatisfaisant pour l'esprit de décréter après toutes ces années que le garçon est un velléitaire (voir à l'échec). Il faudra une conversion religieuse, pas moins, pour se débarasser d'Yves. La brutalité de ces disparition est flagrante pour qui lit une collection; moins pour un lecteur au jour le jour. On peut supposer que les lecteurs de France-Soir gardaient à l'esprit de façon confuse les personnages dont revenait le nom. Ainsi, il suffisait d'évoquer le nom d'Alain, pour le conserver dans le strip et l'arrêt se faisait en douceur quand enfin il n'en était plus question.

 

Fin

 

On ne finit pas un daily strip; on l'interrompt. Je doute que la tapisserie de Bayeux (pour prendre l'exemple d'un strip particulièrement long) ait jamais été achevée. Dans un daily strip, la case ultime surchargée du mot fin est au mieux, pour les lecteurs frustrés, une fin de non recevoir.

A l'extrémité de 13 rue de l'espoir, Françoise échoue dans un village maléficié, au milieu de possédés béats qui ne posent pas de questions. L'ambiance évoque celle du serial anglais Le Prisonnier. Mais il faut rentrer. Papa Morel est malade. Non, ses jours ne sont pas en danger. C'est une drôle de maladie, les analyses sont contradictoires. La maladie de monsieur Morel, c'est la restriction budgétaire. Le strip est supprimé.

Adieu Françoise.

 

Fumerolles

 

Le dessin de Gillon étant trop construit, les bulles sont reliées aux têtes par des fumerolles, emmanchées aux queues de ballons.

 

Glozel

 

"L'affaire Dreyfus" de la science préhistorique (selon le mot d'Afranio Peixoto) est une marotte des scénaristes de 13 rue de l'espoir.

(Rappelons les faits: Un paysan de l'Allier découvre en 1924 des tablettes à inscriptions en argile mal cuite. Notre rustique se met à fouiller, associé à un docteur. On sort de là un tas de fossiles mal taillés, os frais, vieux os, deux dents, harpons inutilisables, etc. Tout cela sent la fraude et la fraude maladroite. Mais des savants français illustres (Van Gennep, Breuil) sont peu ou prou glozéliens, par patriotisme ou par obstination.)

Glozel apparaît d'abord dans 13 rue de l'espoir comme le nom d'un milliardaire filou. Des années plus tard, une référence explicite au petit musée dans l'Allier, "contenant une révélation archéologique dont tout le monde se fout parce qu'elle contredit les thèses officielles etc. etc."

D'où vient la sollicitude des scénaristes pour Glozel? C'est qu'il sont journalistes. Or à partir des années 60, le syndicat d'initiative se démène à nouveau pour faire classer le site, estimant que ce serai bête de le laisser perdre.

 

Hollywood

 

Paul Gillon utilise, comme Stan Drake dans The Heart of Juliet Jones, des acteurs de Hollywood. Clark Gable joue l'inventeur hongrois; Henry Fonda fait le prêtre, comme James Mason faisait pour Juliette de mon coeur Dan Mason et Gary Cooper le docteur Davis. Sean Connery revient souvent, y compris dans son propre rôle.

Pou le reste, Gillon lorgne plutôt du côté d'Alex Raymond, pinceau élégant et décoration plane. Souvent, il dessine comme les anglais. Il y a du Tiffany Jones dans Françoise Morel.

 

Littérature

 

13 rue de l'espoir contient la meilleure et la pire.

Bon exemple: les accents fitzgeraldiens de la réponse de Solange, abandonnant son grand amour pour son raté de mari.

Françoise: -Alors là, je ne vous comprends plus, nous aimez Nicolas, vous avez soulevé des montagnes et puis... plus rien... le désert... et vous semblez normale.

Solange: -"Je suis normale... C'est fini... Mais fini comme une chose faite... Ca vous laisse l'amertume et la joie d'une grande fête tout à fait réussie."

Mauvais exemple, le monologue d'Hamlet "amélioré": Dormir, rêver peut-être. Se faire du mouron, sûrement.

 

Max l'explorateur

 

Il y a un Max l'explorateur dans 13 rue de l'espoir. Comme beaucoup d'explorateurs, c'est un escroc.

 

Mélo

 

Il faut attendre le quatrième strip de la série pour voir le premier pleur. Solange n'est pas heureuse.

Par la suite, c'est Françoise qui donnera le signal des larmes. Quand elle est émue, le lecteur l'est généralement aussi. Pauvre Françoise, la vie est vraiment moche.

Le propre d'un daily strip étant de faire feu de tout bois, le mélo se fait tour à tour mondain, policier, sportif, fantastique, et (de plus en plus au fil des années) mystique. En somme, Françoise traverse successivement toutes les rubriques du journal où elle paraît. Ce n'est pas le journal qui contient le strip, mais le strip qui contient le journal.

 

Mode. (Bouclette haute couture)

 

ils prirent aussi sa tunique qui était sans couture, d'un seul tissu, depuis le haut jusqu'en bas.

Jean,19, 23.

 

Argument: Françoise Morel papillonne dans le milieux de la mode et des années soixante.Voici que Mademoiselle organise une expédition à New York pour conquérir le marché américain du prêt à porter. Son cheval de bataille: une robe révolutionnaire, créée par Armand de Morsac, dont on peut monter le buste avec une seule couture. Comme le fait finement observer un ingénieur, c'est un problème de géométrie dans l'espace. Il y a un truc. La preuve, c'est que même en voyant la robe, on ne comprend pas comment c'est fait. Triomphe de l'esprit français, du système D, du bricolage de génie ou, si l'on préfère, du concours Lépine.

Et bonne affaire. Le coût de revient du vêtement est diminué de vingt pour cent.

Il s'ensuit pour Françoise une folle équipée, à New York puis en Californie, où tous les tycoons de la confection essaient, sous prétexte de l'acheter, de barboter la robe. Ils manquent y arriver.

Coup de théâtre final: il n'a jamais été question de négocier les droits de l'invention. Françoise et ses copines se promenaient pour détourner l'attention tandis que trois usines françaises tournaient à plein pour inonder le marché américain de la petite robe à prix imbattable et mettre clientes et industriels yankees devant le fait accompli.

La robe à couture unique évoque immanquablement les tentatives d'un Geoffrey Beene, apôtre de la robe sans forme (pure fabric; rien que du tissu) qui toute sa vie chercha à atteindre la couture unique. Beene ressemble davantage à un ancien gros petit garçon qu'à un inverti de luxe. Sur les photos, on le voit étreindre à pleins bras un mannequin de couturière; giving mommy a hug. Dans les interviews, il parle de sa mère, une femme du sud languide, et de sa tante, une californienne à turban, qui paraît sortie du faucon maltais. La robe à couture unique, la robe sans forme (pure fabric) doit habiller ces déesses antagonistes, concilier ces deux modèles féminins. D'où sa nature de robe catholique et universelle et, proprement, de robe christique.

Sur le chapitre de la mode, notons encore que parmi les copines de Françoise, Heïdi, la cover girl androgyne, s'inspire visiblement de la célèbre Twiggy, gamine de quatorze ans, anorexique et aux genoux en dedans, qui servit de modèle aux mannequins de toutes les vitrines des sixties.

 

Mots gras

 

Abandonné l'affreux lettrage en caractère bâton (pas trop tôt) on relèvera dans 13 rue de l'espoir l'usage des mots en gras. Ils sont plutôt rares dans les strips français.

Usage maladroit au départ, profus dans l'épisode "éducatrice des rues." Puis, cela s'apaise.

 

Opinions

 

Article 1. Les gosses disent toujours la vérité en face.

(Exemple de phrase: "Et toc, en plein visage.")

Article 2. On analyse trop.

(Exemple de phrase: "A force de chercher le pourquoi des sentiments et de les analyser, on les tue"

Autre exemple: "Oh, Françoise, est-on obligé de tout dépoétiser sous prétexte d'analyser ce qui se cache derrière les apparences de notre comportement?" A quoi Françoise Morel, fine mouche, répond: "Je ne vous le fais pas dire.")

Article 3. Les hommes ne sont que des velléitaires.

(Exemple de phrase: "Comment Alain, si fort, si dur dans le travail... capable de briser tous ceux qui lui résistent est-il si faible devant cette vieille américaine?..."

Autre exemple: "il joue au dur parce que profondément il est faible: le type même du garçon dangereux.")

 

Saint-Tropez

 

"Vous avez vu, à côté de nous, c'est Françoise Sagan". Vite bronzées, Françoise et Solange sont tramées à gros grain et deviennent méconnaissables.

 

Science-fiction

 

Appliquant la règle "vous êtes prié de laisser cette fiction aussi propre en sortant que vous auriez souhaité la trouver en entrant," le scénariste prudent sait ne rien changer à son monde, parce que ça fait désordre. C'est ce principe qui explique que les îles mystérieuses finissent par s'engloutir, que les Nautilus, s'échouent, etc.

13 rue de l'espoir contient une exception qui fait entrer le strip dans la science fiction. Nicolas l'inventeur met au point son amortisseur universel Shapiroff et l'adapte sur les voitures. A 160 km à l'heure contre un mur de béton, on sort indemne. Conclusion: dans le monde de Françoise Morel, les accident de la route ne seront plus mortels. Evidemment, il faut le temps que tout le parc automobile soit équipé. Et la petite malade soignée par Zoe a le temps de disparaître dans un accident de la route. Mais tout de même...

13 rue de l'espoir contient aussi pas mal d'hétéroclites ou d'illuminés. La concierge est un vrai petit Fulcanelli à elle toute seule.

 

Surdité

 

Celle de papa Morel, simulée pour échapper à des escrocs. Les bulles devenues inaudibles pour le sourd-qui-ne-veut-entendre sont remplacées dans les cases par un envahissant tableau noir.

 

Zoe

 

Les scénaristes, se croyant très malin, décident un fameux été d'innover de deux manières. D'abord, Françoise ira au Club. Ensuite, c'est papa Morel qui vivra l'histoire d'amour. (c'est l'époque où Françoise collectionne les éclipses, voir à la rubrique: fiancés).

Ainsi, au village de vacance de Crète de monsieur Trigano, Françoise s'embourgeoise avec un vague sociologue venu écrire un livre sur les moeurs du club, tandis que monsieur Morel file le parfait amour avec Zoe (devenue Zoé avec un é au bout de quelques strips).

Routinée par une bonne dizaine d'années de 13 rue de l'espoir, Françoise fait des scènes à son papa, soupçonne la femme riche et blasée, la mangeuse d'homme, la névrosée, et tutti quanti.

Elle a tort: Zoe est O.K.

Les scénaristes assènent que Zoe est O.K. avec une brutalité qu'ils réservaient jusque là au traitement des personnages d'éducateurs de rue et de prêtres. Qu'on en juge:

Premier acte (La scène est en Crête).

Françoise: Zoe, pourquoi ne parlez-vous jamais de votre vie? De vos enfants, par exemple?

Papa Morel: Tu n'as pas le droit.

Zoe: Pourquoi pas? Croyez-vous qu'une respectable "croulante" s'appelerait Zoe si elle n'avait pas d'enfants? Quatre enfants. Le premier m'a baptisée Zoe... Je l'ai perdu il y a 12 ans. (...)

Françoise: Pardonnez-moi, madame...

Deuxième acte (même décor qu'au premier acte).

Zoe: Tu as gagné, Françoise, on ne construit pas un amour à 50 ans, si c'est pour sentir autour de soi quelqu'un qui s'acharne à le rendre invivable... Je ne veux plus lutter.

Troisième acte (La scène est à Paris, rue de l'espoir).

La concierge: Venez, Louis... j'ai préparé un peu votre appartement, j'ai mis des fleurs pour que ce soit plus gai.

Papa Morel (à part): Plus gai, comme s'il pouvait y avoir de la gaîté ici, après ce soleil...

La concierge: Voyez, j'ai ouvert les fenêtres et mis des fleurs... Mais que vous avez l'air sombre!

Papa Morel: Oh, je vous raconterai... J'ai eu un coup très dur, vous savez, le genre de choses dont on se remet mal à mon âge.

Zoe (surgissant de sa cachette): Allons donc vieux menteur! On s'en remet très bien!

Tout le monde pleure et s'embrasse. (...) Entre Françoise.

Zoe (A Françoise:) Eh oui, Françoise, on ne se débarrasse pas de quelqu'un qui aime vraiment! (un temps) Quant à toi, il faut que nous trouvions un moyen de nous entendre.

Françoise (en larmes): Donnez-moi toutes les gifles que je mérite et devenons amie! Je suis si heureuse pour vous deux.

 

Harry Morgan


Repères bibliographiques

13 rue de l'espoir parut dans France-Soir de septembre 1959 à décembre 1972.

Albums: 13 rue de l'espoir tome 1: les humanoïdes associés 1981

13 rue de l'espoir tome 2: les humanoïdes associés 1982

Deux volumes façon bottin téléphonique qu'on trouva longtemps dans les bacs des soldeurs, le public n'ayant décidément aucun goût.

Sur 13 rue de l'espoir: Un remarquable article de Thierry Groensteeen ("relecture") dans les Cahiers de la bande dessinée n° 58, juin juil. 84, se penche sur les débuts de la série, allant outre la valeur de document sociologique du strip - amplement relevée par la presse - pour examiner la métaphorisation du hasard, la récurrence du thème de la "vie secrète", et le suspense sentimental (il apparaît que le strip n'est point si mystificateur qu'il y paraît).

Sur Paul Gillon et 13 rue de l'espoir: pour un 9° art la bande dessinée de Francis Lacassin, ch. 12. Entretien avec Paul Gillon.

Schtroumpf les cahiers de la bande dessinée n° 36 dossier Paul Gillon.

Champagne n° 2/3 dossier Paul Gillon.

 

Filmographie

13 rue de l'espoir a été adapté au cinéma sous le titre: La Gamberge (1962) nous apprend Louis Cance dans Hop n. 49.

 

Bob Flash

 

(La première version de ce dossier parut dans Le Gentleman de la nuit n° 2)

 

 

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