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CHRONIQUES DE MES COLLINES

2009-2011

par Henri Morgan

Nous avons pendant un peu plus de deux ans, entre 2009 et 2011, tenu une chronique dans une revue culturelle de l'Est de la France, sous le titre Chronique de mes collines. Nous nous étions vieilli un peu pour l'occasion, et avions francisé notre nom en Henri Morgan. Comme nous parlions des choses dont nous parlons habituellement, nous intégrons ici ces chroniques. Leur seul défaut est que, Henri Morgan étant beaucoup moins au fait des littératures dessinées que son quasi homonyme Harry Morgan, il devenait, lorsqu'il parlait de bandes dessinées (c'est-à-dire une fois sur trois à peu près), un peu plus gâteux qu'au naturel.

Harry Morgan


CHRONIQUES DE MES COLLINES

Le Druide de Gyp

Henri Morgan vit retiré à la campagne, et se consacre à l’étude et à la méditation.

Il y a des vide-greniers même dans ma campagne. J’ai déniché, pour un euro, Le Druide (1885), de Gyp, dans une collection de romans populaires des années 1920, où le roman est, je ne sais pourquoi, retitré Geneviève. Gyp est une comtesse de Martel, née de Mirabeau. Cette spécialiste du roman mondain régna sur les lectures des veuves d’officiers et des épouses d’administrateurs coloniaux des années 1880 à la Grande Guerre.
Le Druide est fichu n’importe comment. On patauge dans des histoires de maîtresses et des représentations aux Variétés durant trente pages d’un intérêt déclinant. Il est aussi beaucoup question de lettres anonymes. Et puis, sans que rien ne l’annonce, le personnage focal, Meg, se fait vitrioler par une inconnue. On devine alors, à un soudain réalisme qui était absent jusque là, que Gyp nous raconte son propre vitriolage (la romancière prétendait que c’était un coup de la maîtresse d’Octave Mirbaud).
Pour le coup, le roman devient franchement incohérent, mais aussi fort amusant, tant il est évident que Gyp règle dans sa littérature ses comptes avec sa rivale dans la vie. On apprendra donc de l’actrice « Geneviève Roland » (qui s’appelle en réalité madame Blaireau) que c’est « une ancienne artiste sans aucune notoriété des théâtres d’opérettes », qu’avant cela elle exerçait la profession de grue, qu’elle a très vraisemblablement empoisonné son premier mari, et qu’elle est tellement bête qu’elle s’accable elle-même devant le juge d’instruction, en répondant à des questions qu’on ne lui a pas posées et qu’elle ne peut pressentir que parce qu’elle est coupable. D’un autre côté, Gyp perd son lecteur dans des minuties du dossier qui ne sont compréhensibles que pour elle, par exemple des accusations de lesbianisme ayant circulé dans une feuille de chantage, et dont « Meg » démontre par des échafaudages de raisonnements qu’elles ne peuvent émaner que de la vitrioleuse.
Dans le roman, les lettres anonymes puis le vitriolage sont dus à une jalousie de femme, mais une jalousie qui se trompe de cible. En effet, ce n’est pas la pauvre Meg que va épouser l’amant volage de la vitrioleuse, mais la belle-sœur de celle-ci. Mais curieusement notre romancière se montre aussi peu bavarde sur le sujet des lettres anonymes qu’elle est prolixe sur le sujet de la couleur du manteau de la vitrioleuse ou sur les racontars que sème la vitrioleuse, et on garde un peu l’impression que, dans la vie, ce serait plutôt Gyp qui aurait écrit les lettres à sa rivale.
On est, avec Gyp, dans une littérature de toquée, dont nos Christine Angot et nos Amélie Nothomb, que tout le monde trouve si modernes, sont les lointaines héritières. Gyp a sur ses descendantes l’avantage d’appartenir à une époque complètement révolue, ce qui dépayse le lecteur. Et puis Gyp avait l’amour des bêtes. C’est du moins ce que raconte Jules de Goncourt dans le Journal des Goncourt (15 mars 1894). Ce trait la rapproche d’autres hystériques des lettres de la Belle Époque, madame Rachilde ou Colette. Je n’ai pas l’impression que les héritières modernes de Gyp s’intéressent beaucoup aux bêtes.