en marge des

Principes des littératures dessinées

Par Harry Morgan


« Contrairement à un mythe tenace... »

ou

Comment un historien de la presse enfantine travaillant sur la censure des littératures dessinées en France parvint à justifier les menées des censeurs 

Conclusion


UN COMBAT DOUTEUX

 

Une lecture attentive de l'ouvrage de Crépin confirme la première impression, celle d'une extrême confusion de style comme de pensée.

La position de Crépin est foncièrement ambiguë. A travers tout l'ouvrage, les propagandistes anti-BD sont identifiés comme tels, les arguments non étayés sont signalés. Le film On tue à chaque page est un « violent pamphlet », le chapitre de G. Legman reproduit dans la revue Les Temps modernes, une « virulente critique des comics ». L'idée de l'abbé Pihan de faire organiser des bûchers de « mauvais illustrés » par les jeunes Cœurs Vaillants, à la fin des années 30, est jugée déplorable et assimilée aux méthodes des nazis. Crépin rappelle, anecdote célèbre, que la Commission de surveillance a voulu interdire le jeu de société le Cluedo, ce qui donne la mesure de la fébrilité de ses membres. Il précise que la Commission examine les illustrés belges plus sévèrement que les illustrés français, et non plus mollement. Il répète que les censeurs sont incapables de comprendre le médium bande dessinée, encore moins de voir ses beautés. Mais Crépin glisse partout ses défenses, ses apologies et ses éloges, et l'ouvrage est faussé dans sa stratégie argumentative. Crépin dénonce la virulence d'adversaires infréquentables pour mieux justifier ceux qui lui paraissent sauvables. Dans un second temps, il arrive à présenter les acteurs de la censure des littératures dessinées comme des gens modérés, moyennant une lecture systématiquement biaisée de ses sources écrites. Enfin, il axe son analyse sur la dénonciation du strip américain, tout en rappelant constamment la dénonciation de la BD française par les éducateurs, et présente le combat comme achevé vers 1954, date à laquelle on aurait atteint l'objectif, qui était de désaméricaniser la BD, alors que la Commission a furieusement combattu la BD dans les deux décennies suivantes, ce que Crépin ne peut ignorer puisqu'il a consulté les procès-verbaux jusqu'en 1967.

Crépin succombe à deux vices méthodologiques fondamentaux.

1. Pour commencer, dans l'affirmation de la modération de la Commission de surveillance (la « mansuétude », l'« esprit de modération », la « politique de persuasion »), comme dans l'affirmation de la nocivité des illustrés (le strip américain défini comme littérature pour adultes, voire comme littérature « réservée », la « microcéphalie » de Tarzan, etc.), la reprise des arguments des censeurs va jusqu'au mimétisme. C'est précisément cette reprise servile des arguments de la Commission qui explique les illogismes de la thèse de Crépin (les vociférations des commissaires contre Del Duca, qui « narguait » la Commission en faisant reparaître Tarzan, donnent, chez Crépin, la thèse du « gros éditeur » qui pouvait tenir tête à la Commission, thèse en contradiction flagrante avec les faits). Plus fondamentalement, cette reprise servile est incompatible avec le travail de l'historien et elle situe le travail de Crépin dans son véritable registre, celui de l'hagiographie.

2. En second lieu, les cadres théoriques de Crépin ont été empruntés sans esprit critique à un travail de son directeur de thèse depuis longtemps dépassé sur le plan scientifique et qui ne constituait tout au plus qu'une intéressante étude préliminaire, et Crépin s'est avéré incapable de dépasser les trois hypothèses de son maître, dont sa longue recherche aurait pourtant dû lui montrer l'inanité : le prétendu objectif de désaméricanisation de la BD, la prétendue prédilection de la Commission pour la BD belge et enfin la prétendue mansuétude de la Commission38.

Force est de conclure que Crépin, cédant à ses lubies, présente une thèse fondamentalement viciée, et mène un combat douteux, en prétendant dédouaner des gens qui avaient la ferme intention, au moins initialement, de détruire une littérature. Malheureusement, cela rend son ouvrage largement inutilisable, même à titre de source secondaire, car voudrait-on en retirer un fait, il faudrait encore chercher si Crépin n'a pas orienté la présentation de ce fait39. On aimerait pouvoir dire que les partis pris de Crépin se ramènent à une question de nuance, que lorsque Crépin écrit que la Commission œuvre dans un esprit de modération, il faut lire qu'elle sévit avec une rigueur extrême, et que son ouvrage reste exploitable moyennant cet accommodement, mais il n'en est rien. Le souci apologétique de Crépin l'amène à corriger plus ou moins la réalité, en fonction des besoins. La présentation flatteuse ou euphémistique voisine avec la cascade d'hypothèses ou de conjectures et avec la contrevérité flagrante40. Plût au ciel que Crépin ne fût que myope, car la myopie se corrige ! Mais est impossible de rétablir une image qui a été vue dans un tel miroir déformant. Il reste, comme nous l'avons écrit en tête de ces pages, des collections de faits - les réponses de la presse catholique aux illustrés de l'âge d'or, le sort des illustrés et des éditeurs sous l'occupation, les tentatives d'organisation des dessinateurs - qui passionneront les érudits et qui, mieux délimités et mieux présentés, auraient pu faire d'excellents articles pour le Collectionneur de bandes dessinées41. Mais si l'on songe à la somme de travail dépensée, on ne peut se défendre de penser qu'on est ici devant une sorte de gigantesque gâchis.

L'ouvrage de Crépin ne convaincra aucun historien de la littérature dessinée. Il indignera les amateurs de cette littérature, à cause de ses partis pris contre les auteurs et en faveur des censeurs42. Mais il faut préciser que le goût qu'on a ou qu'on n'a pas pour les littératures dessinées ne change rien sur le fond. Naturellement, Crépin n'a pas la même lecture des archives de la Commission de surveillance que les historiens de la BD, pour l'excellent raison que la BD lui est complètement indifférente. Mais même ainsi l'argumentation utilisée arrive à un paradoxe complet. On pense ce qu'on veut de la BD de telle époque (par exemple les années 1930 ou l'après-guerre) ou de telle école nationale (par exemple le strip américain ou la BD franco-belge). On pense ce qu'on veut de la littérature dessinée en tant que telle et il importe peu qu'on la proclame inférieure, équivalente ou supérieure à la littérature écrite. Mais si l'on choisit pour sujet d'étude la littérature dessinée dans les périodiques pour la jeunesse, il faut s'y tenir. Un journal de BD où, pour des raisons de doctrine, on publie le moins de BD possible est peut-être un meilleur journal pour enfants selon la conception de X ou de Y, mais c'est fatalement un mauvais journal de BD. Il n'y a pas de discussion sur ce point !

 

Quelles leçons peut-on tirer de l'erreur de Crépin ?

 

Quelles leçons peut-on tirer de l'ouvrage de Crépin, dont il est à craindre qu'il ne fasse école, au moins dans son milieu, et qu'il ne propose un modèle à de futurs travaux.

La première grande erreur de Crépin réside dans la problématique qu'il pose. Crépin prétendait mettre fin à une légende noire, celle d'une Commission de surveillance violemment hostile à la BD. Ce faisant, il s'est enfermé dans une querelle stérile sur la malfaisance réelle ou supposée de ladite Commission, la question du degré de nocivité des illustrés le cédant à celle du degré de nocivité... du censeur ! Du coup, l'analyse se borne à commenter l'argumentaire des différents groupes de pression hostiles à la BD - que Crépin est constamment tenté de justifier - et aux mesures prises contre la bande dessinée à partir de 1950 - que Crépin est constamment tenté de minimiser.

On reconnaît dans cette intention de mettre fin aux légendes entourant la Commission un défaut typique des travaux de jeunes chercheurs (mémoires de maîtrise ou de DEA, thèses de doctorat), un curieux mélange de naïveté et d'orgueil, les auteurs considérant que les bibliothèques entières déjà écrites sur leur sujet consistent intégralement en sornettes, et que leur recherche va, pour la première fois, faire justice de toutes les idées fausses et établir enfin la vérité. Il est évidemment impossible de produire une bonne science, ou même une science qui serait seulement acceptable, en adoptant de tels partis pris et il est inexplicable que les enseignants encadrant ces travaux d'étudiants n'y soient pas plus attentifs.

Chez Crépin, ce premier défaut est beaucoup aggravé par les lacunes de l'auteur. Crépin, qui prétend corriger les erreurs du fandom (les « mythes tenaces ») en remontant aux sources, succombe lui-même constamment à des erreurs grossières, qui paraissent parfois typiques de son milieu.

• L'affirmation de la prédilection de la Commission pour la BD belge, empruntée à Ory, et qu'on retrouve aujourd'hui dans un certain nombre d'ouvrages ou de mémoires universitaires, apparaît comme la projection sur les censeurs des conceptions spontanées des chercheurs eux-mêmes, typiques de la classe moyenne de la seconde moitié du 20e siècle (aux « petits illustrés » méprisés, on oppose les « hebdomadaires de qualité » que sont Spirou et Tintin).

• L'affirmation de la « mansuétude » de la Commission semble elle aussi en passe de devenir un lieu commun universitaire. Elle revient dans maints travaux de jeunes chercheurs qui, dans certains cas, n'ont pas consulté les procès-verbaux des réunions de la Commission et se fient donc à l'opinion commune. Dans le cas de Crépin, cette thèse de la mansuétude repose sur un parti pris absolument incompréhensible chez un historien, qui consiste, dans l'examen de documents de toute nature, à accorder une foi absolue aux déclarations officielles de la Commission et à celles-ci seulement. Placé devant une violente diatribe de la Commission contre telle bande dessinée, ou contre la bande dessinée en général, Crépin conclura que ces messieurs étaient un peu énervés ce jour-là et reviendra à sa sornette de la mansuétude et de l'esprit de modération. Quiconque a lu les procès-verbaux dactylographiés des travaux de la Commission peut témoigner que l'idée d'une « modération » des censeurs est un mythe. Il y a malheureusement lieu de craindre que ce mythe ne devienne tout aussi tenace que le mythe selon lequel la Commission aurait eu le pouvoir de « signer l'arrêt de mort » d'une publication.

• L'adoption par Crépin d'une perspective évolutionniste, si elle est clairement un procédé apologétique (en favorisant la « bonne bande dessinée franco-belge », la Commission serait allée dans le sens de l'histoire), est elle aussi à ranger parmi les conceptions spontanées, pour ne pas dire les balbutiements pré-scientifiques. On peut absolument tout « démontrer » par ce genre d'argument et on se demande pourquoi Crépin s'est borné à affirmer que le strip américain, en 1946, appartient à un passé révolu, sous prétexte que la petite révolution des « journaux français de l'âge d'or » est déjà vieille de douze ans. Il pourrait soutenir tout aussi bien que le journal d'enfant au sens littéral du terme, c'est-à-dire le périodique de bandes dessinées imprimé sur papier journal, au format d'un journal, est mort de sa belle mort à la fin des années 1950, et que la Commission, en adressant dix ans plus tôt des mises en demeure à Tarzan et Donald, a pressenti et favorisé une évolution inéluctable. Ou bien que la presse enfantine du début du 21e siècle (Moi je lis, L'Hebdo des juniors, etc.) est conforme au vœu des censeurs de 1950 (elle présente un contenu « varié et équilibré », c'est-à-dire qu'elle publie quelques pages de BD au milieu du reste), et que par conséquent les censeurs, en cherchant à empêcher l'existence d'une presse de bande dessinée pendant la seconde moitié du 20e siècle, étaient très en avance sur leur temps. Tous ces arguments se valent, en somme, c'est-à-dire qu'aucun ne vaut rien. Le travail de la Commission s'analyse comme une réaction violente contre la littérature dessinée. Par définition, la Commission n'a pu favoriser aucun « progrès » de cette littérature. Bien pis, les évolutions qu'on constate se sont faites à son encontre et ont été permises par le fait qu'elle a progressivement perdu de son pouvoir de nuisance. On est bien obligé de constater qu'à peu près tout ce qu'on publie aujourd'hui en France en fait de BD donnerait des palpitations aux commissaires des années 1950 et 196043. La perspective évolutionniste, empruntée aux historiens populaires du médium, ne peut donc aboutir chez Crépin qu'à une contradiction. Si évolution il y a, si progrès il y a, ils se sont faits en dépit de la Commission, et contre elle.

La seconde grande erreur de Crépin est paradoxalement son absence de point de vue historique. On ne peut que déplorer le manque de recul et peut-être d'ambition d'un auteur qui, au fond, ne conclut rien de sa longue étude, sinon ce que lui imposent ses partis pris, à savoir que les censeurs étaient modérés, qu'ils avaient plutôt raison et que leur action a somme toute été bénéfique. Deux thèmes en particulier sont totalement absents de l'ouvrage : la lutte contre une forme de littérature reposant sur le dessin, et le statut de l'enfant.

Les attaques contre le récit dessiné d'abord. Naturellement, la bande dessinée n'a nullement le monopole des attaques des ligues de vertu et des bien-pensants de tout poil, qui s'en sont pris à tous les arts (peinture, sculpture), à toutes les littératures (roman, théâtre) et même à toutes les formes de communication (la presse, l'affiche, dès le début du 20e siècle). Cependant dans le cas de la BD, la nocivité n'est pas contingente mais essentielle. Dans la pensée des éducateurs, il y a de bons romans, pour l'âge mûr, pour la jeunesse, pour tous les âges. Il en est aussi de mauvais. Le sévère abbé Bethléem commence son ouvrage sur le théâtre par l'avertissement qu'il va parler du mauvais théâtre, celui qui corrompt, et non du théâtre en général44. Seule la bande dessinée est mauvaise en général, parce que le principe même d'un récit passant par l'image est considéré comme aberrant. L'argumentaire contre la littérature dessinée qu'examine si longuement Crépin provient de ce point de vue fondamental. Violence, érotisme, laideur, immoralité, etc. ne sont que les effets d'une forme tératologique. C'est la forme BD qui crée la violence et l'érotisme et non l'érotisme ou la violence qui font de telle BD particulière une mauvaise BD. La prose des censeurs de la Commission est on ne peut plus claire sur ce point et il faut toutes les œillères de Crépin pour ne pas voir ce qui crève les yeux.

Le statut de l'enfant ensuite. Dans la pensée des éducateurs, l'enfant n'a pas droit à s'amuser, il n'a pas droit au rêve, il n'a même pas le droit d'exprimer un goût, car ce goût dénotera seulement sa naïveté foncière (qui l'attire vers de mauvais illustrés aux couvertures bariolées). Il appartient au maître de former le goût de l'enfant (c'est-à-dire de lui imposer ses propres normes), alors que les vils éditeurs commerciaux flattent au contraire les goûts « naturels » du petit d'homme. Même si l'idée chagrinera tout lecteur un peu progressiste, on est bien obligé de reconnaître que l'émancipation de l'enfant coïncide avec le triomphe du capitalisme libéral. L'enfant n'a été reconnu comme une personne que lorsqu'il est devenu un consommateur. Il a obtenu le droit d'aimer telle chose (par exemple un album de Tintin) et de ne pas aimer telle autre (par exemple un stupide roman des éditions Magnard) lorsqu'il a obtenu la possibilité de l'acheter. Tant qu'il est aux mains des éducateurs, tant qu'il est dans l'institution (l'école, la patrouille, le patronage), l'enfant reste un sujet. Les professionnels de l'enfance n'ont abandonné qu'à contrecœur leur mainmise sur la jeunesse et la lutte contre la littérature dessinée est un élément de leur résistance : la mauvaise presse pour enfants est celle que les enfants achètent de leur propre chef (Le Journal de Mickey, Spirou, Tintin). La bonne est celle qu'on leur prescrit (Cœurs Vaillants, Vaillant, Copain-Cop, etc.).

C'est précisément ici que l'opposition que font les censeurs eux-mêmes entre presse confessionnelle, la seule autorisée, et presse commerciale, honnie, trouve ses limites, et pas seulement, comme le note Crépin, parce qu'il y a des éditeurs commerciaux soucieux de l'aspect éducatif de leurs productions. Les éditeurs confessionnels ont eu aussi affaire à un public. Ce public réclame de la BD et il faut lui en donner, sans quoi il ne lira plus les journaux que l'on publie dans le but avoué de l'endoctriner. C'est ce qui explique l'existence d'une BD catholique (Cœurs Vaillants) et d'une BD communiste (Vaillant).

Il y a donc une tension entre les intentions (l'éradication de la littérature en images) et la pratique (on tolère, on publie soi-même, une BD qui ne soit pas trop nocive), tension que l'on retrouve dans le fonctionnement de la Commission, qui repose sur la contrainte et la menace (et non pas la persuasion comme l'écrit Crépin !), mais aussi sur l'arbitraire (la Commission est imprévisible et contradictoire dans ses appréciations comme dans ses sanctions) et enfin sur ce qu'on est bien obligé d'appeler la corruption (on se protège entre soi, qu'on soit catholique, communiste, ou « commercial » comme Jean Chapelle, on protège ses amis).

Tels sont les véritables enjeux de ce combat. Ils n'ont rien à voir avec une prétendue moralisation, une prétendue désaméricanisation ou une prétendue amélioration de la BD.

 

Harry Morgan

[Un article dans la revue 9e art n° 8, janvier 2003, fait la synthèse de nos critiques de l'ouvrage de Thierry Crépin.]

NOTES


38. « Ory explique en préface à la réédition de son article de 1981 dans On tue à chaque page, 1999, qu'il n'a rien changé à son texte ancien, qui est validé par la thèse de Crépin. On est ici devant un beau cas de causalité circulaire, Crépin et Ory validant mutuellement leur thèse. Retour au texte

39. Prenons un seul exemple. Parlant de Marijac, Crépin met le mot « résistant » entre guillemets. N'ayant pas fait de recherches personnelles sur la question, nous ignorons tout des faits de résistance de l'auteur de Jim Boum. Mais, compte tenu des partis pris de Crépin, il nous est impossible d'arriver à une conclusion. Les guillemets peuvent signifier que Crépin a mis la main sur des sources qui inclinent à penser que Marijac a été un résistant pour rire, comme les Trois mousquetaires du maquis. Les guillemets peuvent signifier aussi que Crépin a cherché à salir un auteur qui s'est assez violemment colleté avec la Commission de surveillance. Retour au texte

40. Présentation flatteuse ou euphémistique, l'affirmation de la « modération » de la Commission. (Comme dans toute organisation, on y trouvait certainement des braves types, qui tâchaient de faire le moins de mal possible ; on y trouvait aussi des gens qu'on n'aurait pas aimé rencontrer au coin d'un bois, par exemple l'instituteur communiste Raoul Dubois.) Cascades d'hypothèses et de conjectures, l'affirmation que l'arrêt de l'hebdomadaire Tarzan n'est pas dû à l'inquisition de la Commission mais à des considérations commerciales, ou bien l'affirmation que les « gros » éditeurs Winkler et Del Duca pouvaient prendre la Commission de haut, par opposition aux « petits », Artima ou la SAGE, qui devaient filer doux (comme on l'a vu, la Commission a livré une véritable guerre personnelle contre Del Duca). Contrevérités flagrantes, l'affirmation que la Commission tolérait l'anticipation (elle l'a systématiquement pourchassée), l'affirmation que des éditeurs comme la SAGE renonçaient sans peine à des bandes devenues obsolètes. (Les intéressés ont ressorti les bandes en question dès qu'ils ont pu le faire !) Retour au texte

41. Le Collectionneur de bandes dessinées n'a pas manqué de décerner à l'ouvrage de Crépin les plus grands éloges. Mais il n'est pas interdit de penser que les collaborateurs de la revue ont célébré l'ouvrage d'historien qu'ils auraient aimé lire sur la censure des littératures dessinées. Retour au texte

42. On est bien obligé de constater que Crépin module ses arguments en fonction de son public. Quand il publie dans la revue du musée de la BD, Crépin se garde de toute allusion à la fameuse désaméricanisation qui aurait été achevée en 1954 après quoi les publications dessinées auraient coulé des jours heureux en France, et il se contente d'affirmer la mansuétude croissante de la Commission, en partant, comme on l'a vu, du principe qu'en-deçà d'une transmission immédiate du dossier au garde des Sceaux à fin de poursuites on n'est déjà plus dans la répression, mais déjà dans la mansuétude (« 1945-1954 : la Commission de surveillance entre intimidation et répression », 9e art n° 4). Quand il publie dans le Collectionneur de bandes dessinées, Crépin se lâche un peu, laisse entendre que la SAGE renonce sans peine à des bandes devenues obsolètes (les strips américains !), affirme bien haut que la Commission n'est pour rien dans l'arrêt de l'hebdomadaire Tarzan ! Dans son mémoire de DEA, sa thèse, ou la version librairie de sa thèse, Crépin est en roue libre et présente ses thèses les plus extrémistes, allant jusqu'à faire des censeurs les plus virulents des individus modérés et qui œuvraient pour la bonne cause ! Retour au texte

43. Et ne parlons même pas du reste de la presse et de l'édition, y compris scolaire ! Les éditeurs catholiques eux-mêmes publient des romans fantastiques pour adolescents, qui, il y a quarante ans, leur auraient fait pousser les hauts cris et nous auraient valu de violentes diatribes de l'abbé Pihan. Les petits enfants de France apprennent aujourd'hui à lire dans un manuel dont la mascotte est un petit fantôme et dont les chapitres font appel à ce que la Commission appelait « le genre science-fiction » et « l'épouvante » (c'est-à-dire le merveilleux). Retour au texte

44. Louis Bethléem, Les Pièces de théâtre, Editions de Roman-Revue, 1910. L'ouvrage commence ainsi : « Nous n'entreprenons pas ici une étude complète sur le théâtre. Il ne s'agit donc pas de rechercher si, selon le vœu de M. Villemain, il ne pourrait pas devenir le plus noble plaisir des hommes assemblés... » Retour au texte